Le cheval de Troie
Apollon -- seigneur des Prophéties – parlait par la bouche de la Pythie. Je demandai si l’oracle ne s’était pas trompé en affirmant que je serais loin de mon foyer pendant vingt ans. Sa réponse fut simple et directe : « C’est la vérité. » Elle ajouta ensuite que ma protectrice, Pallas Athéna, désirait que je fusse absent pendant vingt ans. Je demandai pourquoi, mais elle se contenta de me rire au nez.
Tout espoir anéanti, je continuai ma route en direction de Thèbes, où j’avais convenu de rencontrer Diomède, qui venait d’Argos. La cité en ruines était déserte ; il n’avait pas osé s’y attarder. J’empruntai donc le sentier défoncé qui mène au détroit d’Eubée et à la plage d’Aulis.
Le point de départ de l’expédition avait été longuement débattu, car plus d’une lieue était nécessaire pour abriter notre millier de navires. Aulis était un bon choix ; la plage était suffisamment longue et, au large, l’île d’Eubée la protégeait des vents et des tempêtes.
J’atteignis enfin le sommet de la falaise qui surplombe la plage et contemplai la scène à mes pieds. Sous mes yeux, de minuscules navires s’étendaient à perte de vue, sur deux rangs. Ils étaient rouge et noir, la proue fièrement dressée, la mâture haute. Ils pourraient transporter chacun plus de cent hommes. J’applaudis secrètement Agamemnon. Il avait réussi. Même si ces deux rangées de navires ne quittaient jamais la plage d’Aulis, un tel rassemblement était en lui-même un exploit.
Au trot de mon attelage, je traversai le petit village de pêcheurs, sans prêter attention à la multitude de soldats qui encombraient son unique rue. Après avoir dépassé les maisons, je dus cependant m’arrêter ; où donc se trouvait le quartier général ?
— Où se trouve la tente d’Agamemnon, roi des rois ? demandai-je à un officier qui passait.
Il me toisa et, tout en se curant les dents, il examina mon armure, mon casque orné de défenses de sanglier et l’imposant bouclier qui avait appartenu à mon père.
— Qui pose cette question ? lança-t-il avec impertinence.
-- Quelqu’un qui ne craint pas les crapules de ton espèce.
Pris au dépourvu, il avala sa salive.
— Continue un moment ta route, seigneur, répondit-il plus poliment, puis demande à nouveau.
— Ulysse d’Ithaque te remercie.
Agamemnon avait établi un camp temporaire de grandes et confortables tentes de peaux. Il n’avait rien bâti, à part un autel de marbre, sous un platane solitaire et rabougri qui devait lutter contre les embruns et les vents. Je confiai mon attelage et mon aurige à l’un des gardes royaux et l’on m’escorta jusqu’à la tente principale.
Tous les chefs importants s’y trouvaient. Calchas était discrètement assis dans un coin. De ses yeux rouges il regardait tour à tour un homme, puis un autre, il calculait, faisait des conjectures. Je l’observai pendant quelques instants, essayant de deviner qui il était vraiment. Je ne l’aimais guère, non seulement à cause de son physique peu attirant, mais aussi parce que quelque chose d’indéfinissable en lui m’inspirait de la méfiance. Agamemnon avait eu la même réaction au début puis, après l’avoir fait surveiller pendant plusieurs lunes, avait fini par conclure que Calchas était loyal. Je n’en étais pas si sûr. L’homme était fort habile. Et c’était un Troyen.
— Ulysse, qu’est-ce qui t’a retenu ? demanda Achille. Tes navires sont arrivés il y a déjà une demi-lune.
— Je suis venu par voie de terre. Des affaires à régler.
— Tu es arrivé à temps malgré tout, remarqua Agamemnon. Nous allons tenir notre premier conseil.
— Alors je suis vraiment le dernier ?
— De ceux qui comptent le plus, oui.
Nous prîmes place et Calchas approcha, le bâton des débats à la main. Malgré le temps ensoleillé, des lampes brûlaient à l’intérieur de la tente car il y faisait sombre. Comme il convenait pour un conseil de guerre, nous étions tous en armure d’apparat. Celle que portait Agamemnon était magnifique, en or incrusté de lapis-lazuli et d’améthyste ; j’espérais qu’il en possédait une mieux adaptée au combat. Prenant le bâton des mains de Calchas, il se tourna vers nous d’un air fier.
— J’ai réuni ce premier conseil pour discuter du départ plus que de la campagne. Inutile d’avoir un débat à proprement parler, il me semble préférable de
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