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Le Coeur de la Croix

Le Coeur de la Croix

Titel: Le Coeur de la Croix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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siens
avaient conquis l’Égypte ; plus loin, Saladin venait témoigner sa
sympathie à la famille du défunt ; ailleurs le sultan déposait puis
remplaçait le dernier calife du Caire. Enfin, la nation mahométane rendait
hommage à Saladin pour avoir, le premier, réussi à unifier l’Égypte et la
Syrie – prenant de fait le petit royaume franc de Jérusalem en tenailles.
À bientôt cinquante ans, le Roi des Rois, le Vainqueur des Vainqueurs, rêvait
d’y inscrire sa plus belle page : Jérusalem rendue à l’Islam.
    Morgennes avait l’impression d’être à la dernière page d’un
livre immense, déroulé pour permettre à seshéros de
descendre arpenter le monde. En comparaison de la vie du sultan, la sienne
n’était qu’une guipure, une dentelle avec plus de vides que de pleins. Il se
rappelait vaguement avoir été en Égypte, à l’époque où Saladin accomplissait
ses exploits, et il chercha du regard le début du livre de soie. Les soldats
alignés le long de ce récit gigantesque semblaient le prolonger vers
l’extérieur, comme si les images que l’artiste n’avait pas eu le droit d’y
figurer – l’Islam prohibant la représentation de la vie –, s’étaient
retrouvées dessinées au-dehors. Cette impression était renforcée par le fait
que les draperies, gonflées par une brise, s’enroulaient autour des Sarrasins, paraissant
vouloir les réengloutir. En somme, l’Histoire les réclamait. En se penchant
légèrement, Morgennes vit une tente immense où flottait un étendard orné d’une
inscription, illisible à cette distance. Ce devait être celle de Saladin. Puis
un mamelouk l’obligea à reprendre sa place, au bout du corridor de soie.
Morgennes pouvait sentir, de part et d’autre de la tenture, la foule se
presser, impatiente et pleine de murmures.
    Morgennes se demanda ce qu’on lui voulait. Désirait-on le
faire figurer, lui aussi, sur l’une des pages de la vie de Saladin ? Il
eut un sourire amer, et, comme on l’avait débarrassé de ses chaînes, passa les
mains sur ses mollets, là où les fers avaient pesé.
    Il regarda le champ de bataille et ses innombrables
cadavres, ses bûchers où l’on brûlait les morts, ses empilements de tuniques,
d’armes et d’armures. Épées et coutelas côtoyaient un désastre de lances, non
loin d’un amas de manteaux et d’écus, tous aux armes du Temple et de l’Hôpital.
Ailleurs, c’était des cottes de mailles, des gambesons de cuir, des broignes et
des haubergeons, des casques, des bassinets, un amoncellement de selles et
d’étriers, une myriade de harnais – déroute de l’armée de Dieu.
    Comme des charrettes ne cessaient d’arriver, alimentant le
feu des bûchers, grossissant les piles d’objets, Morgennes se sentit envahi par
une sorte d’ivresse. Ses tempes battirent à l’étourdir, la tête lui tourna, ses
jambes se dérobèrent sous son poids. Il manqua défaillir, lorsqu’un mamelouk le
saisit par le bras. La poigne de l’homme avait été plus amicale
qu’hostile ; Morgennes le remercia d’un petit signe de tête, mais le
mamelouk ne broncha pas.
    Un mouvement sur la plaine attira son attention. Un homme
entièrement vêtu de noir, monté sur un destrier de la même couleur, traînait
derrière lui une trentaine de pauvres hères entravés, qui le suivaient tant
bien que mal. Le cavalier allait au pas, mais les captifs étaient si fatigués
que Morgennes pouvait les voir peiner, s’épuisant à maintenir l’allure.
    L’un d’eux s’écroula.
    Deux des prisonniers essayèrent de relever le malheureux,
qui s’effondra de nouveau. Alors le cavalier descendit de cheval, prit une
outre accrochée à sa selle, s’approcha de l’homme tombé à terre, et lui donna à
boire, à lui ainsi qu’à ses deux compagnons. Puis le cavalier s’en retourna à
sa monture, et la petite caravane reprit sa route.
    Une clameur monta vers le ciel. Elle venait du bas de la
colline, non loin de l’imposante tente que Morgennes supposait être celle de
Saladin. Une soixantaine de nobles, d’officiers et d’esclaves étaient en train
d’en sortir. À leur tête marchait le Glaive de l’Islam, suivi de son escorte,
de Sohrawardi, d’al-Afdal, d’Abu Shama et des prisonniers francs. À leur vue,
la clameur enfla. C’était des acclamations, des hurlements de joie, qui étaient
pour Morgennes autant de coups d’épée. Les mots faisaient tempête ; les
sons crevaient telles des gouttes énormes ;

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