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Le Coeur de la Croix

Le Coeur de la Croix

Titel: Le Coeur de la Croix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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il se noyait dans un flot de
paroles, il étouffait, il suffoquait. Il n’entendait plus rien. Brusquement,
tout devint noir. Seul un mot résonnait dans sa tête. Non, pas un mot, une
nécessité : « Boire ! »
    Ses lèvres, sèches et crevassées, semblables à cette terre
que le couchant ne tarderait pas à baigner de lumière, se tordirent pour
demander de l’eau. Mais pas un son n’en sortit. Il n’avait rien bu depuis
bientôt deux jours, deux jours durant lesquels il avait vu certains de ses
compagnons devenir fous, d’autres avaler leur urine ou celle de leur cheval,
puis mourir, riant et pleurant à la fois. Morgennes n’était qu’aridité. La
chaleur ne tirait plus de lui une seule goutte de sueur ; la douleur, plus
une larme.
    La poigne des mamelouks s’accentua, et Morgennes se
redressa, prêt à livrer ce qui serait peut-être son dernier combat : sa
rencontre avec Saladin.
     
    Le sultan avançait entre les pans de sa vie ; ces pages
de soie dans lesquelles il serait enroulé à sa mort et dont il constituerait
l’épilogue, l’ultime broderie. Pour l’instant, il passait en revue les
guerriers qui s’étaient distingués à Hattin. Saladin prenait dans ses bras chacun
de ses braves, leur donnait l’accolade et leur faisait remettre un certificat,
qui permettait de monter en grade, ou de recevoir une terre ou une rente si le
soldat était vieux.
    Parfois, l’homme récompensé tombait en larmes aux pieds de
son sultan, lui étreignait les bottes, les embrassait avec ferveur. Aussitôt,
un mamelouk saisissait l’adorateur pour le tirer violemment en arrière :
en 1176, un Assassin avait surgi de la foule pour porter à Saladin un coup de
dague à la tête. Par chance, celui-ci portait sous son fez une coiffe de
mailles, qu’il ne quitta plus depuis ce jour. Cela faisait plus de dix ans que
les ismaïliens nizarites multipliaient les tentatives d’assassinat. Ils
haïssaient Saladin, coupable à leurs yeux d’avoir fait tomber le califat fatimide
d’Égypte, chiite comme eux. Saladin était pire que ces chiens de chrétiens.
C’était un traître, qu’il fallait châtier à tout prix. Le sultan leur rendait
bien cette haine : il assiégeait une à une leurs forteresses en Syrie. Une
rumeur affirmait qu’il allait s’attaquer à la plus puissante d’entre elles, en
Perse : Alamût (« la Leçon de l’aigle »). Les mamelouks
gardaient la main sur le pommeau de leur épée, Tughril fouillait la foule du
regard, mais Saladin, lui, resplendissait. Il donna l’accolade au dernier de
ses hommes, et se tourna vers Morgennes, le regard pétillant d’intelligence et
de curiosité.
     
    La lumière était douce. La journée s’en allait lentement, et
dans le ciel, déjà, les premières étoiles brillaient. Derrière Saladin, les flambeaux
brandis par des esclaves jetaient sur les visages des ombres mouvantes.
    — Ainsi…, commença Saladin.
    Mais il avait à peine ouvert la bouche qu’une cavalcade,
quelques plaintes, des cris, se firent entendre tout près. Les mamelouks
dégainèrent leur sabre et entourèrent Saladin, chassant la foule à coups
d’épaule et du plat de l’épée. Un cavalier, la face barbouillée de suie, venait
au galop.
    Il sauta de sa monture avant même qu’elle ne se fût arrêtée,
et se dirigea à grands pas vers Saladin. Un murmure parcourut l’assemblée,
qui – craignant un Assassin – recula, effrayée ; quand al-Afdal,
le plus jeune fils de Saladin, s’écria :
    — Cousin Taqi !
    Il avait reconnu, malgré son accoutrement, son cousin :
Taqi ad-Din. Taqi était le neveu préféré de Saladin. C’était une forte tête, un
original, jamais à cours de ressources ni d’arguments, sur qui le sultan
comptait aveuglément. Saladin lui avait confié la gouvernance de l’Égypte. Il
l’avait même placé à la tête du Yazak al-Dâ’im : une unité spéciale formée
des meilleurs cavaliers de l’armée sarrasine, et qui officiellement n’existait
pas. Les missions du Yazak étaient aussi importantes que variées :
préparer le terrain en creusant des puits sur les points avancés des futurs
bivouacs de l’armée ; les empoisonner ou les endommager s’ils tombaient
aux mains de l’ennemi ; surveiller l’adversaire afin d’anticiper ses
mouvements, le couper de ses sources d’approvisionnement et de
renseignement ; mener contre lui des attaques surprises dans le but de
l’évaluer ; infiltrer un agent dans ses

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