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Le Coeur de la Croix

Le Coeur de la Croix

Titel: Le Coeur de la Croix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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tête
de cette caste. Des gens veillaient sur lui, des amis. Des gens qui pensaient
du bien de lui, connaissaient son histoire, les épreuves qu’il avait endurées,
les exploits qu’il avait accomplis, la malédiction qui l’avait frappé.
D’autres, au contraire, le jalousaient, lui en voulaient. Morgennes les
agaçait : il paraissait indifférent à tout. Mais ce qui chez les uns
suscitait l’exaspération, éveillait chez les autres l’estime. C’était comme si
le monde, à son contact, se partageait en deux. Il y avait ceux qui le
trouvaient modeste, et ceux qui le trouvaient orgueilleux. Ceux-ci le disaient
souvent triste ; ceux-là, presque toujours joyeux. Ceux qui le trouvaient
peu soucieux d’autrui se heurtaient à ceux qui louaient son écoute. Ceux-ci
vantaient son calme et sa maîtrise de lui-même. Ceux-là déploraient ses colères
et son impertinence.
    En l’an de grâce 1186, le maître de l’Hôpital – Roger
des Moulins – avait réuni son conseil privé. Il s’agissait de savoir par
quel frère remplacer le beau doux frère Montillet, gardien de la Vraie Croix,
mort à la bataille. On avait évoqué le nom de frère Morgennes, ce qui avait
donné lieu à une discussion houleuse :
    « Il est falot, vous dis-je !
    — Je lui trouve au contraire une forte
personnalité !
    — C’est un insolent !
    — Toujours très respectueux !
    — Sans cesse à discuter !
    — Ne parlant jamais trop, et toujours à
propos ! »
    On lui trouvait d’innombrables défauts, qu’un trésor de
vertus compensait. Courageux, audacieux, étaient des qualificatifs qui
revenaient fréquemment. Timide, indécis, aussi. On s’étonnait de ce qu’il fût
Hospitalier. On se disputait alors sur les traits de caractère que devait avoir
un chevalier de l’Hôpital. Tous s’accordaient à dire qu’il devait réunir les
trois vertus qui faisaient un bon moine, c’est-à-dire l’obéissance, la pauvreté
et la chasteté ; ainsi que celles d’un bon chevalier : la loyauté, la
prouesse et la sagesse.
    Fait rarissime, la discussion avait fini par des empoignades
et des cris, auxquels Roger des Moulins avait mis fin en déclarant :
« Ce qui est sûr, c’est qu’à trop parler de lui, quels que soient ses
mérites ou ses défauts, nous nous égarons. Ce qui doit retenir notre attention,
ce n’est pas le beau doux frère Morgennes, mais le Christ, les pauvres, les
malades, le Saint Bois – au service desquels nous sommes. J’ai l’impression,
en vous écoutant, que vous ne parlez pas du même homme ; et je n’arrive
pas à savoir combien de personnes est Morgennes. Est-il deux, l’un bon, l’autre
mauvais ? Est-il beaucoup plus que deux ? Ce qui est sûr, c’est qu’à
vouloir trop bien le cerner, on perd la raison. Ce débat me chagrine, et nous
éloigne de notre sujet : le beau doux frère Morgennes est-il, d’après
vous, digne ou non de la charge d’“Apôtre” telle que nous
l’entendons ? »
    On s’était de nouveau disputés pour savoir quelles qualités
devait avoir celui qui était élevé à ce grade. Devait-il être de tempérament
fougueux et brutal, comme Roland du Jourdain, ou au contraire doux et
pieux ?
    Le maître de l’Hôpital avait tranché :
    « Morgennes étant noble, et puisque nous sommes
d’accord pour dire qu’il sait très bien se battre et monter à cheval, nous lui
confierons la garde du Saint Bois. Allez chercher le frère Morgennes, afin de
l’informer de l’honneur qui lui est fait.
    — Très bien, déclara Morgennes en apprenant la
nouvelle. »
     
    Morgennes s’était mis à l’abri entre deux rochers. La faim
lui tenaillait le ventre, mais l’idée de manger lui donnait la nausée. Il
n’avait rien bu depuis trop longtemps. Alors il se releva, puis repartit vers
le lac de Tibériade, au bord duquel campait l’armée de Saladin. Il allait
là-bas parce qu’un homme seul, dans le désert, sans cheval ni eau, n’avait
aucune chance de survie. Morgennes marcha dans la nuit, se fiant à son ouïe,
cherchant à deviner d’où venaient les bruits de ces drapeaux qui claquaient au
vent. Enfin, il aperçut des lueurs, à portée de flèche. Des braseros brillaient
dans les ténèbres, tels des yeux de chats sauvages. Soudain, il vit une forme
se mouvoir, puis deux, puis plus d’une dizaine.
    Une meute de chiens à poil court, de ces créatures immondes
qui sont les ombres des armées, se rassasiait de cadavres. Après

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