Le Coeur de la Croix
bannière pour que nous nous unissions dans la gloire
d’Allah !
Malgré sa petite taille, il irradiait une énergie
considérable. Il serra son fils, al-Afdal, contre lui, et respira dans ses
cheveux la forte odeur du soir qui s’y trouvait imprégnée. Ses fils étaient
toute sa fierté. C’est pour eux qu’il avait érigé son Empire. Il se sentait
comme le fier Alexandre d’autrefois, dont l’Empire était plus grand que la main
d’Allah – mais plus petit que là où porte Son regard, car Son regard porte
à l’infini.
Morgennes, qui malgré son extrême fatigue n’avait rien perdu
de la scène, était ému par la foi de Saladin et la véhémence avec laquelle il
galvanisait son peuple. À côté de lui, Guy de Lusignan faisait pâle figure.
Ridefort était piteux, et Raymond de Castiglione, le maître de l’Hôpital,
laissait à peu près indifférent. Aucun n’avait ce charisme, cette force de
conviction, ce don pour montrer à ses troupes la voie à suivre.
Un désespoir immense gagna l’âme de Morgennes. Il se
demandait pourquoi les mamelouks ne l’avaient pas raccompagné à son enclos.
Peut-être le spectacle n’était-il pas terminé ? Il chercha des yeux Taqi
ad-Din, mais il avait disparu. En revanche, la cour du roi de Jérusalem n’était
pas loin. Elle paraissait ne pas se soucier de lui. Soudain, le vieux marquis
de Montferrat mit un doigt sur ses lèvres pour lui signifier de se tenir prêt.
Discrètement, il lui fit un petit clin d’œil et lui montra la grande croix au
sommet de la stèle. Apparemment, Montferrat avait un plan. À moins qu’il ne
cherchât à lui dire de garder espoir, que Jésus était là, qui veillait sur lui.
Morgennes fut tiré de ses réflexions par le concert d’une
quarantaine de pigeons qui voletaient au ras du sol. Les oiseaux roucoulaient
joyeusement, heureux de partir en mission. Matlaq ibn Fayhân leur avait attaché
sous le ventre un rouleau de parchemin, afin d’apprendre la victoire de Saladin
à toutes les tribus jusqu’ici défaillantes, à toutes les villes qui ne
s’étaient pas encore ralliées à sa cause ; et de les enjoindre de s’unir à
lui, ou, à défaut, d’envoyer des armes, de l’argent ou des vivres.
Le ventre et les ailes des pigeons avaient été teints en
bleu ciel. On ne leur avait donné à manger qu’une seule fois dans la journée,
au petit matin, un mélange particulier d’orge et de millet dont la tribu des
Zakrad avait le secret.
Des agents du Yazak avaient pénétré, la semaine passée,
déguisés en mendiants, en marchands ou en oulémas, au sein de chaque ville, de
chaque tribu auxquelles Saladin voulait envoyer un message. Ils avaient apporté
avec eux deux petites cages. La première contenant un couple de pigeons :
un mâle et une femelle ; la seconde un jeune mâle célibataire. Les couples
avaient ensuite été séparés, les mâles regagnant le camp de Saladin avec l’un
des agents du Yazak, les femelles étant introduites, sous les yeux de leur
compagnon, dans la cage du pigeon célibataire. La nature est ainsi faite que
les mâles, jaloux et malheureux, n’avaient qu’une envie : retourner à
tire-d’aile vers leur belle.
Matlaq fit un geste en direction de Saladin, et trois
pigeons s’envolèrent vers lui. C’étaient des oiseaux superbes, de grande
envergure. Ils se posèrent aux pieds du sultan et se rengorgèrent. Saladin prit
l’un de ces pigeons dans ses mains en coupe et s’approcha du roi de
Jérusalem :
— Celui-ci est pour votre femme. Je l’informe du
montant de votre rançon… Ainsi, elle saura que vous êtes en vie. Souhaitez-vous
ajouter quelque chose ?
Lusignan – tremblant à l’idée que le Yazak se soit
approché d’aussi près de sa femme – se contenta de murmurer :
— Dites-lui de payer, le plus rapidement possible…
— Inscrivez-le vous-même.
Deux oulémas lui apportèrent de quoi écrire, et Guy de
Lusignan commença la rédaction de son mot. Quand il eut terminé, Saladin fit
venir un deuxième oiseau. Cette fois-ci, il s’adressa à Gérard de Ridefort, le
maître du Temple :
— Ce message est pour le patriarche de Jérusalem,
Héraclius, dit Saladin en prenant un deuxième pigeon dans ses mains. Malheureusement
pour lui, ce sont de bien mauvaises nouvelles : la Vraie Croix est en
notre possession ; l’un de ses fils, Rufinus, l’évêque d’Acre, est…
Saladin eut un regard vers la tête de Rufinus, dans
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