Le combat des Reines
kyrie et autres
cantiques en un majestueux plain-chant. Les myriades de cierges placés sur le
maître-autel et un peu partout flamboyaient. Le soleil qui perçait les vitraux
chatoyait sur les corniches, les calices précieux, les patènes et les ciboires
posés sur les nappes d'autel ivoire aux broderies blanches et rouges.
Édouard et
Isabelle étaient agenouillés sur leurs propres prie-Dieu. Gaveston et d'autres
courtisans s'étaient rassemblés dans l'enceinte qui leur avait été réservée à
droite. En haut des marches du chœur se trouvaient Lincoln, Pembroke et leur
entourage. On m'avait reléguée dans la chapelle sacrée de Notre-Dame où était
érigée une statue de la Vierge vêtue en Reine du Ciel et tenant dans son giron
l'Enfant Jésus, les mains levées en un geste de bénédiction. Sous la statue,
protégée par une exquise châsse de verre à bordure d'or et constellée de
pierres précieuses, on pouvait admirer la plus riche relique de l'abbaye, la
Ceinture jadis portée par la Madone. Elle attirait mon regard, de même que les
divers tombeaux du mausolée royal : celui d'Édouard le Confesseur,
splendide dans ses rouges et ors ; celui d'Édouard I er en
sombre marbre noir de Purbeck ; et, tout près, la tombe aux gracieuses
sculptures de sa première épouse bien-aimée, Éléonore de Castille. Je me
souvins que le vieux roi était censé avoir pleuré jusqu'à l'épuisement à sa
mort et avoir marqué chaque étape de son cortège funèbre dans son trajet vers
le sud par des croix de pierre élancées aux merveilleuses ciselures. Une pensée
me traversa l'esprit, mais je ne m'y arrêtai pas. Réflexion faite, peut-être
aurais-je dû considérer que c'était une prière offerte par les mains invisibles
d'un ange. Pourtant, ce dimanche-là, les anges ne volaient guère dans
l'atmosphère tendue et hostile du chœur de l'abbaye. La veille, l'escorte des
barons avait rencontré celle de Gaveston alors qu'elles allaient toutes les
deux abreuver leurs chevaux au bord du fleuve. Les compagnons des grands
seigneurs avaient accusé Gaveston non seulement d'être quasi rex — presque
roi —, mais aussi d'être un couard, qui se cachait derrière son royal
maître et refusait d'affronter ses accusateurs. Les serviteurs de Gaveston
avaient répliqué par un flot d'injures et traité leurs opposants de tous les
noms — Gloucester était un fils de pute, Lincoln une Grosse Bedaine,
Warwick le Chien noir d'Arden [8] ,
Pembroke Joseph le Juif et Lancastre le Rustaud. Selon ce que m'avait en hâte
chuchoté Isabelle quand je l'avais vue avant la messe, ces insultes, dues à
l'esprit vif de Gaveston, avaient, semble-t-il, fait mouche. Je tournai la tête
vers les grands piliers cylindriques de l'édifice. Visages de marbre, air dur,
les barons marmonnaient entre eux. Ils se retournaient parfois vers le favori
et sa coterie en effleurant les fourreaux pendus à leurs ceinturons de brocart. Deo gratias , on avait avec sagesse remis toutes les armes à la garde des
frères lais sous le grand porche de l'abbaye.
L'office se
déroulait. Au moment du baiser de paix, l' osculum pacis , Édouard quitta
son prie-Dieu sur-le-champ pour se diriger vers Gaveston. Ils s'étreignirent
avec fougue et s'embrassèrent sur la joue. Puis le souverain s'avança avec
nonchalance vers Lincoln et, sans s'arrêter, lui serra la main avant d'aller
enlacer son épouse qu'il embrassa avec douceur. L'affront si désinvolte fait à
leur chef provoqua un murmure de protestations chez les grands barons et les
hommes de leur suite se réunirent sur les marches du chœur. L'abbé Kedyngton,
prévoyant le péril, s'empressa d'entonner : « Agnus Dei, qui
tollis peccata mundi » — « Agneau de Dieu, qui effaces
les péchés du monde ». La messe s'acheva enfin avec « Ite missa
est » — « Allez, la messe est dite » — chanté
par la puissante voix du sous-prieur et la réponse retentissante du chœur :
« Deo gratias » — « Grâces en soient rendues à
Dieu. »
— Et
qu'elles soient sincères ! chuchota une voix derrière moi.
Je me retournai.
Guido me souriait. Agnès, blême, les yeux brillants de larmes, se tenait à ses
côtés.
— Si nous
pouvons sortir d'ici, siffla Guido, sans qu'épées ou dagues aient été tirées,
alors on pourra dire que l'époque des miracles n'est pas tout à fait passée.
La sonnerie
perçante des trompettes noya presque ses paroles. Édouard et
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