Le combat des Reines
odorante » ?
La reine
douairière, habillée comme une mère abbesse, et la comtesse Margaret, vêtue
comme une de ses novices, s'avancèrent avec majesté vers nous.
— Guido !
Tentez-vous de séduire Mathilde avec votre poésie ?
— Non,
madame, avec les herbes, et sans grand succès, repartis-je.
Isabelle nous
rejoignit. Nous gagnâmes tous l'ombre d'un bouquet de saules plantés devant un
vivier bordé de roseaux. Que le roi et Gaveston soient encore plongés dans une
profonde conversation sous la tonnelle mettait tout le monde un peu mal à
l'aise. La reine douairière, pour détourner l'attention, expliqua que, la
veille, elle et Guido avaient débattu des simples et de leurs effets, surtout — elle
adressa alors un regard oblique à ma maîtresse — lors de
l'accouchement.
— Qu'en
pensez-vous, Mathilde ?
— Rien,
madame.
Marguerite
haussa ses sourcils épilés avec soin. Je constatai, l'espace d'une seconde, que
son visage n'était qu'un masque, que son voile et sa guimpe sévère ne lui
servaient que de déguisement.
— Rien,
répétai-je. Une femme grosse devrait éviter médecines et erbolées quand elle le
peut.
— Au nom de
quelle autorité parlez-vous ? demanda-t-elle, ne cachant plus son intérêt
à présent.
— Mon
oncle...
Isabelle
m'avertit d'un coup d'œil et je m'interrompis.
— ... était
médecin outre-mer. Il avait conféré avec les érudits arabes, dont les théories
étaient les mêmes que celles des Anciens, Galien et Hippocrate : Natura
fiat natura — la nature est la nature, ou, plus précisément,
laissez la nature agir à sa guise. Mon oncle avait observé les femmes du pays
et remarqué que, gestantes, elles ne buvaient ni ne mangeaient rien qui sorte
de l'ordinaire. En général, grossesse et enfantement se passaient bien, de plus
les nourrissons étaient en bonne santé. Il avait établi des comparaisons avec
certaines dames d'Occident qui avalaient diverses concoctions, ce qui
provoquait de fâcheux résultats. Laissez-moi vous donner un exemple,
continuai-je. Le genêt a des feuilles bleu argenté qui, écrasées, exsudent une
huile jaune pâle. Comme vous le savez sans doute, madame, on s'en frotte
souvent la peau afin de repousser mouches et autres insectes. Mais elle affecte
aussi les muscles et, chez la femme en espoir d'enfant, cela peut induire des
contractions précoces et conduire à une fausse couche.
— Très
bien, très bien. Vous voyez, Marguerite, dit la reine douairière en se tournant
vers la comtesse et en employant son prénom à la française comme elle le
faisait la plupart du temps, il faudra, vous aussi, consulter Mathilde quand
vous attendrez un enfant.
Gênée, la
comtesse rougit. La reine allait reprendre son interrogatoire quand Édouard et
Gaveston arrivèrent, bras dessus, bras dessous. Le roi était tout sourire ;
le favori avait encore l'air tendu. Son beau visage d'un blanc d'ivoire et si
lisse reflétait l'ire qui bouillonnait en lui : ses yeux jetaient des
éclairs, ses pommettes semblaient plus prononcées, ses lèvres, à l'ordinaire
généreuses, ne formaient plus qu'une mince ligne exsangue.
— Allons,
allons, réjouissons-nous, déclara le souverain en dégageant son bras et en
claquant des mains. Cette belle matinée pâlit devant les ravissantes femmes qui
l'adornent maintenant. Guido, narrez-nous donc l'amusante histoire du vieux
chevalier, de sa jeune épousée et de la ceinture de chasteté à deux clés.
L'assistance se
mit à rire et le groupe se resserra. Guido, un mime-né, interpréta la fable
pour la compagnie. Sa conclusion fit hurler de rire Édouard, qui se frappa la
cuisse de sa main gantée. Les cloches de l'abbaye sonnèrent tout d'un coup,
égrenant les heures. Midi ne tarderait pas et serait vite passé. Le souverain
chuchota quelques mots à Gaveston, qui s'approcha de moi. Il me posa avec
douceur la main sur l'épaule et m'attira à l'écart, me ramenant vers l'entrée
voûtée du jardin. Il s'arrêta comme pour examiner les corbeaux de chaque côté
du portail : singes et gargouilles aux têtes monstrueuses lui répondirent
du regard de pierre de leurs yeux exorbités, gueules grandes ouvertes. Les
faibles échos de voix chantant une hymne à la gloire de la Vierge Marie — Aima
Mater Dulcis — montaient de l'abbaye.
Gaveston me
tapota l'épaule.
— Le pauvre
Pain-bénit est mort et tout ce qu'il avait apporté a disparu, n'est-ce pas,
Mathilde ?
Je lui
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