Le combat des Reines
l'idée que Dieu peut vouloir se servir de moi
pour réaliser ses propres mystérieux desseins.
Pour le
taquiner, je frappai Bertrand sur le bras d'un coup de poing.
— Je pense
que l'Empoisonneuse — elle, lui ou eux — est une
machination de Philippe. Ils nous menacent, je les menacerai donc en retour.
Nous devons être prudents et rusés. Mettre nos masques pour affronter leurs
masques.
— Quelle
ardente petite porteuse de lance !
Bertrand me
donna un baiser franc et délicieux sur les lèvres. Ma virulence se tarit bien
vite. Lorsque je voulus l'embrasser aussi, il effleura ma bouche du bout des
doigts.
— Mathilde,
Mathilde, écoutez ma confession. Je suis prêtre ; je consacre le pain et
le vin, je les transforme en corps et en sang du Christ. Néanmoins je suis là
dans les tourments charnels de la vie, à combattre toutes sortes de démons,
ajouta-t-il avec un petit sourire.
— Mon
oncle, rétorquai-je, a abordé un jour ce sujet avec moi. Il disait qu'un
templier se consacre à l'amour de Dieu et d'autrui. Qu'il ne se bat pas
seulement contre la chair et le sang, mais qu'il mène aussi une guerre
spirituelle contre les seigneurs des airs. Oncle Réginald parlait d'un conflit
des réalités, de ce que pourrait être la vie et de ce qu'elle est en fait.
Souvent, observait-il, nous aimerions accomplir le bien et pourtant nous nous
contentons de faire ce que nous avons à faire.
— Et
l'Eucharistie, le corps et le sang du Christ ? Votre oncle Réginald vous
en a-t-il parlé ? Vous aurait-il expliqué pourquoi je célèbre la messe le
matin et lutte pour ma vie le soir ?
— Oui, je
le crois. Que vous admettiez ou non sa réponse, c'est votre affaire. Il disait
que le Christ s'était incarné pour s'impliquer dans l'insignifiante mais brutale
politique de Nazareth et de la Galilée. Alors pourquoi maintenant
rejetterions-nous celle du Louvre, de Westminster ou de Cheapside ?
Demontaigu
fixait le tableau pendu au mur. Soudain, de la grand-salle, comme si un être
invisible avait écouté ce que nous disions, une belle voix se mit à chanter. Je
ne sais si c'était celle d'un jouvenceau ou d'une bachelette, mais la chanson
était obsédante et émouvante. Elle évoquait des rêves brisés, cependant le
second couplet décrivait comment ces mêmes rêves, même s'ils ne se réalisaient
jamais, en valaient la peine. Les larmes me montèrent aux yeux. Je regardai les
petites phalènes dorées tourbillonner imprudemment autour de la flamme de la
chandelle. Bertrand posa sa main sur la mienne.
— Mathilde,
venons-en au vif du sujet.
— Que
voulez-vous dire ?
— J'ai vu
Ausel aujourd'hui. Nous, les templiers, abritons un traître en notre sein. Non,
non, écoutez-moi. Les seules personnes qui savaient quand et où nous devions
nous réunir hier soir étaient Ausel, moi et Padraig. Ausel et moi sommes
chargés d'organiser ces rencontres et, quant au moment et à l'endroit, nous
informons le moins de gens possible, y compris parmi nos chefs. On s'était
contenté de dire aux autres de se trouver à tel endroit, à telle heure. On les
a conduits ensuite à la chapelle des Pendus. Personne n'a eu le temps d'en
aviser Alexandre de Lisbonne afin qu'il puisse y venir avec tant d'hommes. Les Noctales étaient prêts, Mathilde. Ils nous ont laissés entrer et ont cru nous avoir
piégés.
Il fit une pause.
— J'ai
d'abord accusé ceux qui avaient été pris et emprisonnés à Newgate, mais ils ne
pouvaient savoir. Je repoussai mon tranchoir et mon gobelet. Dans un coin une
araignée descendait vers le centre de sa toile pour se nourrir d'une mouche
captive. Un chat disparut dans l'ombre. Une souris couina dans un angle et un
courant d'air froid s'insinua dans la pièce, agitant la jonchée malodorante et
soufflant une chandelle. J'avais envie de m'en aller. Nous avions discuté des
dures réalités de la vie ; Demontaigu venait de me faire part de l'une
d'entre elles. C'était terrifiant.
— Soupçonnez-vous
quelqu'un ?
— Personne,
Mathilde, mais tout templier qui aurait été pris hier soir ne devait compter
sur nulle merci. C'est ce à quoi nous sommes toujours confrontés : la
trahison. C'est la première fois, en Angleterre, que nous pensons qu'il y a un
traître parmi nous.
Il se tourna
pour me faire face.
— Nous
avons besoin de pardons, de protection, afin de pouvoir nous déplacer
librement. Pour le moment nous vivons dans l'espace obscur qui s'étend entre la
loi
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