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Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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pourquoi ni par quel chemin elle était arrivée là, et voici qu'elle allait rester dans notre terre. Ça faisait réfléchir, la vie, non ?
    Quand l'homme, placidement, avait porté la cigarette à sa bouche tout en le fixant - et, pour la première fois, il y avait de la violence dans son regard -, Cocci s'était emporté.
    Il fallait que l'homme lui montre tout de suite les lieux, avait-il exigé.
    L'homme n'avait d'abord pas bougé, puis, tout en se levant, enfilant une veste de toile imperméable, il avait marmonné que lui-même avait toujours obéi aux lois, et que les juges, c'était la loi. Alors il allait le conduire, puisqu'ainsi le voulait le juge.
    Ils avaient traversé le hangar et l'homme, tout à coup, s'était montré plus loquace.
    C'est là qu'on l'avait mise en attendant de l'enterrer. Ce hangar, c'était un peu la morgue, à Dongo, pour les noyés. Si lui-même dormait là, c'est que sa propre vie, c'était déjà comme la mort, non?
    Il y avait des vies, comme ça, qui pouvaient pas être pires. D'autres - on comprend pas pourquoi : qui choisit? - filent comme des bateaux, à pleines voiles. Mais ils coulent aussi. Et puis d'autres, on les tue.
    Il avait dit au père de la jeune morte que, quand on meurt à cet âge-là, c'est qu'on vous a tué ou qu'on vous a laissé mourir.
    Qu'est-ce que vous en pensez, monsieur le juge, vous qui en voyez, des choses, des gens, les pires, non?
    Cocci n'avait guère aimé ce monologue, ces questions, cette attitude devenue complice, et il avait le sentiment désagréable d'être celui qu'on traque, qu'on pousse dans une nasse, qu'on leurre avec des mots.
    - La voilà, avait dit l'homme en montrant sur l'un des quais la drague dont le bras d'acier, redressé presque à la verticale, brillait, le temps étant au beau. Au-dessus des montagnes de Bellagio, sur l'autre rive, passaient des chapelets de petits nuages d'un blanc lumineux. Le vent - une brise, plutôt - frisait la surface du lac et, quand Cocci et l'homme s'engagèrent sur le sentier longeant la berge, au-delà de Dongo, Cocci reconnut le parfum douceâtre des lauriers-roses.
    Brusquement, Angelo Trovato s'était tu. Il avançait tête baissée, le dos voûté, ses bras tombant le long du corps. Quand il s'immobilisa, écartant les branches d'un massif de lauriers, tendant le bras vers le monticule de terre, Cocci sut que l'homme n'irait pas plus loin. Mais il ne s'attendait pas à cette haine, à cette violence, à ce mépris que, l'espace d'un instant, croyant ne pas être vu, Trovato avait exprimés.
    Cocci l'avait rejoint et saisi par la manche. Leurs visages étaient si proches que le juge sentit l'haleine forte, chargée de tabac, de l'homme.
    Pourquoi cet endroit? avait-il demandé. Pourquoi pas un autre? Pourquoi si loin de Dongo? Des éboulements, il y en avait eu de nombreux, cette nuit-là. Le lieutenant de carabiniers l'avait assuré.
    Vous saviez que c'était ici, vous aviez vu. C'est pour cela que vous êtes venu ici, avait répété Cocci.
    La vérité, c'était comme le soleil, Trovato devait s'en souvenir ; si ce n'était pas lui qui la révélait, d'autres le feraient, et alors Trovato serait coupable, jeté en prison pour faux témoignage.
    Il était déjà en prison, avait bougonné Trovato.
    Cocci n'avait pas lâché la manche de sa veste, au contraire, il l'agrippait avec le désir de secouer cet homme, avec la certitude désespérante qu'il s'irritait en vain.
    Levant les yeux, il avait aperçu au sud, sur l'autre rive, dans une zone sombre — une cohorte de nuages masquait pour quelques instants le soleil —, la tache blanche de la Villa Bardi comme un bloc aux arêtes acérées crevant les mamelons verts des arbres et des massifs.
    Il n'avait pas réfléchi à ce qu'il allait dire, mais il avait posé son autre main sur l'épaule de Trovato et avait chuchoté, visage contre visage : - Imaginons que vous ayez vu Carlo Morandi cette nuit-là, que vous l'ayez reconnu. Il est accompagné d'Orlando, son régisseur. Vous l'avez déjà rencontré?
    L'homme avait montré ses dents noires, ébréchées.
    Donc, vous les connaissez tous deux. Vous êtes là par hasard. Leur voiture est arrêtée sur le bord de la route. Vous les voyez jeter le corps, ou jeter quelque chose. Vous revenez le lendemain matin. Vous draguez. Vous sortez la jeune Française. Vous ne dites rien, parce que vous avez peur. Morandi est puissant. Puis vous apprenez qu'un juge, à Parme, l'a inculpé. Vous aussi,

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