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Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Chaque fois, il préférait se remettre à parler, faisant surgir de nouveaux noms, des faits inattendus qu'il livrait entre deux hoquets - « Vraiment, Cocci, je ne sais plus rien, j'ai beau chercher, je te jure... »
    Cela avait duré des heures; le greffier avait rempli, à la main, plus d'une soixantaine de feuillets; il ne s'était arrêté qu'au moment où, d'un geste, Cocci lui avait fait signe de s'interrompre, disant à Balasso : « Tu vas signer, maintenant. »
    Balasso s'était alors redressé, les cheveux toujours en désordre, balbutiant « Où, où? » Le greffier s'était précipité, tendant un stylo, faisant défiler les feuillets afin que Balasso les paraphât un à un.
    - Tu vois, avait dit Balasso en se tournant vers Cocci (mais il restait à demi plié, comme un homme qui a mal), j'ai fait ce que tu voulais, tu es content, tu es satisfait! Tu sais ce que c'est? Moi, j'étais aux ordres de Morandi, je ne prenais aucune décision, j'obéissais, tu comprends, Cocci?
    Cocci avait ôté ses lunettes et le greffier avait ouvert la porte.
    Après, Cocci était resté seul.
    Prenant son temps, frottant ses mains l'une contre l'autre, se levant parfois pour aller jusqu'à la fenêtre - la nuit était tombée, le brouillard plus dense encore -, il s'était imaginé ce que les avocats de Morandi opposeraient aux aveux de Balasso. Où sont les preuves, Monsieur le Juge? Dans un pays de droit, on ne peut bâtir une accusation sur des aveux obtenus peut-être sous la pression, hors la présence d'un avocat. Les journaux - Cocci pouvait les utiliser - publieraient les passages les plus compromettants du dossier. Cela ferait, durant deux ou trois jours, les titres de La Repubblica, de la Stampa, ou du Corriere, mais Balasso reviendrait sur sa confession. Il aurait cette fois les cheveux tirés en arrière, un air de défi afin de dissimuler sa peur. Il serait accompagné de trois avocats qui, lorsqu'il voudrait parler, le lui interdiraient d'un geste : « Notre client... », commenceraient-ils. Et Balasso se rengorgerait, le menton levé. De quoi l'aurait-on menacé s'il maintenait ses déclarations?
    Cocci ne s'indignait même pas de ce qu'il prévoyait. Morandi, un instant ébranlé, inquiété, peut-être même emprisonné quelques heures, donnerait une conférence de presse, sans doute Villa Bardi. Osait-on l'accuser, dirait-il, de faire prospérer l'économie de la région? Qui d'autre, de Parme à Côme, avait comme lui créé des emplois? Si les directeurs de ses sociétés - pas lui personnellement, mais il était leur chef, il en acceptait la responsabilité - avaient versé de l'argent aux partis politiques, croyait-on que c'était par plaisir? C'était ainsi, seulement ainsi qu'il avait pu développer ses activités. La pourriture du système, il avait dû, comme chaque Italien, s'y adapter. Maintenant, puisqu'on le compromettait jusqu'à le faire emprisonner - mais il n'avait pas honte d'avoir connu les prisons de Parme ! son ami Leiburg, le grand écrivain européen, lui avait rappelé les noms de Silvio Pellico et de Fabrizio del Dongo, il était fier d'avoir partagé la condition de ces héros de l'histoire et de la littérature -, eh bien, il allait en faire, de la politique, il en avait les moyens ! Il était indigné. Il était un Lombard en colère. Gare à ceux qui allaient s'en prendre à lui! Qu'on se rapporte à l'histoire des Bardi. Ce n'était pas sans raison qu'on l'avait appelé le Condottiere.
    Cocci était resté longtemps devant la fenêtre. Il lui avait semblé que l'affaire Morandi était déjà close alors même qu'il n'avait pas encore perquisitionné Villa Bardi, qu'il n'avait pas encore utilisé les aveux de Balasso, ceux, peut-être, qu'il obtiendrait de Fabrizio Valdi. Mais il le pressentait : c'était joué. On ne pourrait obtenir de la banque Balli, à Lugano, communication des comptes secrets, ou il y aurait alors un tel foisonnement de pistes qu'on s'y perdrait : l'argent, les prêts, les transferts de capitaux, le jeu sur les taux de change, les sociétés domiciliées à Grenade ou à Monaco, un tel labyrinthe, avec des cloisons étanches qu'il faudrait forcer, si bien qu'au bout du compte on ne réussirait qu'à frapper quelques petites sociétés sans jamais atteindre le coeur du système.
    Mais ce coeur existait-il? Morandi lui-même n'était-il pas qu'un paravent commode, avec ses activités multiples - archéologie, mode, presse, télévision, tout ce théâtre

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