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Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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de moi comme ils avaient dû frôler cette morte dont je n'avais pu voir le corps.
    « Vous vouliez savoir, m'avait demandé l'homme. Ça vous suffit? »
    Je réentendais ses propos.
    Je touchai l'épaule de Joëlle : je souhaitais qu'elle accélère.
    Je m'accrochais à elle afin qu'elle me dégage de ces herbes, de ces algues, de cette vase, qu'elle me retire de cette eau douceâtre peuplée de longs corps froids.
    Je feuilletai le journal sans parvenir à lire l'article de Joan Finchett, découvrant seulement la photo de la Villa Bardi qui l'illustrait.
    On apercevait des massifs de lauriers, des pins, un long et étroit bassin qui surplombait le village de Bellagio; des colonnes romaines tronquées, des chapiteaux et des statues - dont celle d'une jeune femme drapée, laissant voir un ventre un peu renflé, le nombril dissimulé par les plis de la peau, les hanches lourdes - bordaient les allées.
    Joan Finchett s'appuyait à la statue, souriant à Carlo Morandi qui se tenait un peu en retrait, regardant au loin, de l'autre côté du lac de Côme, vers Dongo.
    Je descendis de voiture, entrai au siège du journal et répondis aux gestes d'amitié des rédacteurs sans même me rendre compte de ce que je faisais, tressaillant quand, dans notre salle de réunions, je me retrouvai en face de Joan qu'il me semblait avoir quittée à l'instant dans le parc de la Villa Bardi.
    Comme à l'habitude, elle était à la fois distante, réservée et souriante, stricte avec ses cheveux blonds bouclés, son visage rond, ses yeux bleus qu'elle ne baissait pas aisément.
    « Elle est clean, Joan », disait d'elle Bedaiev. Le mot ne traduisait pas tout ce que l'on ressentait en la voyant : propre comme si elle sortait du bain, certes, et pleine de santé, d'énergie, et fidèle à une morale rigoureuse; mais on éprouvait en même temps une certaine déception, on devinait qu'elle pouvait également incarner l'ennui, l'apprêté, le factice. « Surgelé, avait une fois commenté Arnaud en me tendant l'un de ses reportages. Mais tu aimes ça : ça te change, ça te rassure, non? »
    C'était l'époque où je lui faisais part de mes premières dif ficultés avec Ariane. Je sentais qu'elle m'échappait, qu'elle était prête à basculer dans un monde chaotique, régi par d'autres lois que celles que je connaissais. Elle venait encore parfois me chercher au journal, déjà vêtue de pantalons de toile effrangés, d'une veste de daim élimée, d'un pull-over si court qu'il laissait voir sa peau, son nombril, ce que, sans oser le lui dire, je trouvais provocant, immoral.
    Peut-être est-ce pour cela que j'avais été séduit par Joan - et, avant elle, par Joëlle qui s'habillait de la même manière qu'elle -, par ses tailleurs beige clair aux épaules carrées, à la jupe droite, par ses jambes musclées, ses souliers aux talons bottiers, cette netteté dans l'apparence qui semblait le reflet d'une personnalité traçant sereinement son chemin, efficace et saine.
    Je n'avais pas même osé parler d'elle à Ariane lorsqu'elles s'étaient croisées une fois ou deux dans les couloirs du journal. J'avais simplement dit : « C'est Joan. »
    Joan avait souri, lancé deux ou trois mots dans un joyeux élan, tandis qu'Ariane l'avait ignorée comme si, en face d'elle, il n'y avait eu qu'une chose transparente ou indigne d'être regardée.
    J'avais été effrayé et révolté par cette indifférence, ce mépris mêlé d'insensibilité. J'avais craint comme jamais de ne plus avoir prise sur Ariane, de ne plus pouvoir la retenir, car je ne la comprenais plus.
    Je m'étais excusé auprès de Joan.
    - On a toutes été comme ça à un moment ou à un autre, avait-elle déclaré en se détournant, mais je savais qu'elle me mentait.
    Puis j'avais voulu oublier cette scène et ce qu'elle m'avait appris d'Ariane.
    J'entraînai Joan vers l'un des canapés, m'appuyant à elle. D'une voix dont je mesurais qu'elle était à peine audible, je lui demandai de me parler de Morandi, du lac, de la Villa Bardi.
    Je reconnus les mots qu'elle prononçait : Dongo, Bellagio, Côme, et jusqu'à celui de ce navire, L'Innomato, à bord duquel elle avait traversé le lac. Mais le paysage qu'elle décrivait, ensoleillé, luxuriant, m'était inconnu. Morandi s'était montré munificent, m'expliqua-t-elle encore.
    Je l'interrompis. Il me semblait qu'elle ne me racontait qu'une partie de ce qu'elle avait ressenti, et que la désinvolture et même la gaieté avec lesquelles

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