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Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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immeubles du centre de Parme. Elle avait pu ainsi occuper ses doigts, son esprit, sans penser à ce déjeuner. On l'avait renvoyée de bureau en bureau, de Milan à Bologne, et finalement une secrétaire, au Palazzo Ducale de Parme, lui avait annoncé qu'elle allait lui passer monsieur le juge Cocci.
    Joan n'avait pas été surprise par sa voix aiguë, la manière dont il hachait les phrases. Elle avait vu plusieurs fois en photo ce visage à l'ossature apparente, ascétique, barré par une moustache noire, les yeux profondément enfoncés, le regard voilé par des verres épais cerclés d'une monture d'acier. Il s'exprimait dans un français précis, sur un ton d'impatience. Que voulait-elle, qui était-elle? Morandi, avait-elle expliqué, tenait une conférence de presse ce matin-là à Paris; elle était journaliste, Joan Finchett, de Continental; pouvait-on lui préciser l'état de l'enquête? Il avait éclaté d'un rire où elle avait perçu de l'amertume et de la colère : Finchett, américaine, n'est-ce pas, CIA ou Mafia? Elle avait été invitée Villa Bardi. Il avait relevé son nom aux côtés de ceux de Balli, de Nandini, de Lavignat, de Hassner, etc. Le portrait qu'elle avait brossé de Morandi dans Continental, il l'avait lu. Il figurait au dossier. Une oeuvre pieuse. Dites de ma part à monsieur Morandi que l'enquête progresse. A bientôt à Parme, peut-être?
    Elle avait répondu sur le même ton : « Sans aucun doute », puis raccroché avec violence, rembarrant dans les minutes suivantes Jean-Luc qui l'avait appelée, l'avait invitée à déjeuner : « Je déjeune avec Carlo Morandi », lui avait-elle répliqué. Elle avait été déçue de l'entendre dire : « Bien, bien, excusez-moi, Joan. Vous me raconterez. »
    Elle s'était habillée en hâte, découvrant qu'il était déjà près de midi, mais elle avait trouvé sans attendre un taxi à la station de la place Maubert et s'était fait déposer à l'entrée des jardins des Champs-Élysées.
    De nouveau elle avait le temps.
    Elle avait marché lentement, revenant sur ses pas, contournant les pelouses, les amoncellements de feuilles mortes. Elle s'était enfoncée dans cette épaisseur rousse et humide qui collait aux chevilles et que ses talons perçaient.
    Il ne pleuvait plus, mais Joan avait gardé le capuchon de son imperméable relevé, avançant tête penchée avec le sentiment d'être ainsi protégée, masquée, préservant de cette manière, jusqu'au dernier moment, la possibilité de renoncer à ce déjeuner qu'elle avait cependant confirmé, dans un défi spontané, dès qu'elle avait reçu l'invitation.
    Elle palpait le carton dans la poche de son imperméable et, du bout des doigts, reconnaissait la gravure du blason, cette tour surmontant un poisson à gueule ouverte.
    C'était cela, le système Morandi : comme une tour que l'on voyait de loin, des immeubles sur une place centrale, des hommes connus, Leiburg, Nandini, Balli, toute une activité et des amitiés d'apparence, des colloques Villa Bardi, ces galeries-musées ouvertes au public, «ces collections particulières, précisait le guide de Parme, offertes à l'admiration du public grâce à la générosité de leur propriétaire, Monsieur le Président Carlo Morandi ».
    Mais, au-dessous, dans les profondeurs opaques, d'autres formes se profilaient, qu'on pouvait imaginer sans vraiment les voir, à l'instar de ces poissons qui disparaissent dans les remous et se confondent avec les algues et la vase.
    D'où venait l'argent de Morandi? De l'héritage familial, des profits? Ou bien, comme les eaux des fleuves se mêlent dans un lac, ces capitaux avaient-ils plusieurs sources que nul ne pouvait identifier?
    Bedaiev l'avait dit à Joan, puisqu'elle l'avait interrogé sur le rôle de la banque Balli : si Ferdinando Balli venait à parler, on le retrouverait noyé dans le lac, ou peut-être même pas. N'affirmait-on pas que les poissons des berges étaient particulièrement voraces?
    Alors que la pluie avait repris, à peine sensible, une pluie tenace et fine qui n'en résonnait pas moins sur les feuilles comme un crépitement léger, Joan, repensant à ces propos, avait éprouvé un moment d'abattement. Il ne naissait pas de la crainte. Qe risquait-elle dans cette salle à manger du Pavillon Laurent? Mais elle avait eu le sentiment d'être totalement impuissante. La vie n'était que compromission, pourriture. Cela l'attirait et la désespérait tout à la fois. La mort seule était

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