Le Condottière
du juge Roberto Cocci, l'inculpation pour corruption, les perquisitions effectuées à Parme au siège des sociétés de Morandi?
- Quelle passion! s'était exclamé ce dernier en se levant à son tour.
Il s'était approché de Joan, lui avait pris le bras tandis que les autres, après une certaine hésitation, sortaient du salon, les laissant seuls.
Était-elle son ennemie, ainsi qu'on l'en avait prévenu lui avait alors demandé Morandi sans lâcher son bras. Pourquoi? Il lui avait ouvert toutes ses portes. Elle pouvait interroger qui elle jugeait bon. Et il lui offrait, après cela, d'entrer dans son groupe de communication. Que voulait-elle? Qu'imaginait-elle? Que cachaient cette violence, ce trouble qu'il devinait ? De l'attirance, peut-être? Les femmes sont si souvent contradictoires, non?
Elle avait tenté de se dégager, murmurant qu'elle faisait simplement son métier.
Il s'était encore approché comme il l'avait fait naguère dans la galerie, Villa Bardi. Elle était plus émue qu'alors, plus tentée de s'appuyer à lui, de fermer les yeux, plus curieuse de ce qui pourrait se produire.
Il l'avait senti et avait essayé de l'enlacer tout en lui chuchotant qu'elle était une passionnée, que c'était la qualité qu'il appréciait le plus.
Elle s'était mise à respirer de plus en plus vite, et, comme pour reprendre souffle, elle lui avait demandé s'il se souvenait d'une jeune femme, Ariane Duguet, qu'il connaissait peut-être, qu'on avait retrouvée morte dans le lac, près de Dongo.
Il ne s'était pas écarté de Joan mais avait lâché son bras tout en continuant à sourire.
Il ne se souvenait, avait-il répondu, que des femmes avec qui il avait fait l'amour ou avec qui il désirait le faire.
Il s'était d'ailleurs souvenu de Joan, elle ne pouvait pas en douter, n'est-ce pas?
- Ariane Duguet, avait-elle répété, ignorant son badinage.
Il avait secoué la tête, ajouté, en quittant le salon, que les autres femmes, pour lui, n'existaient pas.
27.
J OAN avait essayé de reconstruire ce qui s'était passé depuis qu'elle avait quitté le Pavillon Laurent et l'avenue Gabriel.
Elle s'était engagée sur la place de la Concorde, hésitant à la traverser, regardant vers l'Hôtel Crillon, se demandant si elle allait continuer à pied jusqu'à chez elle - une demi-heure de marche, et il pleuvait - ou bien tenter d'arrêter un taxi. Entre l'instant, où elle était rentrée et le lendemain matin, quand elle avait quitté la rue Frédéric-Sauton, elle avait remarqué, l'air de surveiller la porte de l'immeuble, un homme en long manteau de cuir noir, et elle avait aussitôt pensé : c'est Orlando. Sitôt dehors, elle s'était élancée vers le boulevard Saint-Germain, réussissant à monter dans un taxi, et quand elle s'était retournée, elle n'avait plus vu l'homme, le coin de la rue Lagrange où il se tenait les bras croisés était vide, et c'est à partir de là qu'elle avait compris qu'elle ne pourrait rien raconter, car elle-même, dès cet instant, recroquevillée dans le taxi, serrant ses genoux entre ses bras, transie - le chauffeur lui avait lancé en la regardant dans le rétroviseur : « Vous, on dirait que vous avez froid » -, avait commencé à douter de ce qu'elle avait vécu, craignant de s'être laissée emporter par l'imagination, l'angoisse, rassemblant des faits qui n'avaient aucune espèce de rapport entre eux.
Était-elle sûre que l'homme qu'elle avait aperçu en face de chez elle était Orlando? Il avait la même taille. Quand elle avait quitté le Pavillon Laurent, il lui avait semblé que, sortant derrière elle, il avait pris au vestiaire un manteau de cuir noir. Elle l'avait vu se diriger vers une voiture dont le portier lui remettait les clés, et qui était garée devant le pavillon, les deux roues avant engagées sur le trottoir.
Joan avait donc marché lentement jusqu'à la place de la Concorde et, au moment de s'engager sur la chaussée, d'affronter le flot des voitures, elle avait remarqué, se détachant des files qui se dirigeaient vers le pont ou vers les Champs-Élysées, une voiture, noire comme celle d'Orlando, qui venait vers elle, seule, roulant à vive allure. Joan s'était immobilisée, un pied déjà sur la chaussée, fascinée par cette gueule métallique qui se rapprochait et qui, au tout dernier instant, avait obliqué un peu à gauche. Elle avait senti sur ses jambes le souffle chaud de l'échappement - sûre à présent que l'homme au volant
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