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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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l’école. Tantôt
il critiquait la propreté et sa mère n’essayait plus de discuter, sachant
qu’elle ne pouvait faire briller des murs et des parquets éteints depuis des
années. Elle-même détestait Joachim Crête. Chaque fois qu’elle l’entendait
arriver, elle voyait blêmir sa mère. Elle savait qu’entre eux une longue
histoire de haine, remontant à la fin du siècle dernier, ne s’était jamais résorbée.
Elle savait aussi qu’à la moindre incartade sa mère perdrait son emploi.
Joachim veillait comme un prédateur, n’attendant qu’une erreur de sa proie.
Mais depuis qu’elle enseignait aussi, sa mère s’était calmée, moins inquiète.
Elle ne pouvait lui offrir grand-chose hormis sa présence quotidienne et sa
passion pour l’enseignement. À elles deux, elles se débrouillaient assez bien,
maintenant qu’Émilien leur expédiait à tous les mois assez d’argent pour payer
la nourriture. Il leur donnait des nouvelles de son père, qui habitait toujours
Duparquet mais n’avait plus remis les pieds à Saint-Tite depuis la mort de la
grand-mère Pronovost. Émilien, lui, s’était installé à
La Sarre et ne semblait pas regretter sa décision d’avoir quitté la Mauricie.
    Clément n’était plus venu les voir depuis son
départ. Elle se demandait si elle le reconnaîtrait. Il écrivait maintenant à
Noël et à Pâques et sa mère lisait ses lettres au moins deux fois. La première
fois, elle s’impatientait tellement devant les fautes d’orthographe qu’elle ne
comprenait pas un mot du message. La seconde fois, elle lisait le message,
essayant d’oublier la forme.
    La complicité qu’elle avait réussi à créer
avec sa mère en ce qui touchait à l’enseignement n’avait déteint en rien sur leur
connaissance mutuelle. Sa mère ne parlait plus de son passé. S’il lui arrivait
occasionnellement de recevoir une lettre de sa cousine Lucie, elles ne se
visitaient plus depuis des années. Henri Douville s’était remarié et leur avait
expédié une photographie de sa nouvelle femme. Blanche avait bien ri. Cette
femme ressemblait à s’y méprendre à sa mère. Sa mère, elle, s’était contentée
d’esquisser un sourire moqueur avant de ranger la photographie à la dernière
page de son album, sans prendre la peine de la coller. Son oncle Ovide qui,
passé l’âge de quarante-cinq ans, avait eu un regain d’énergie, avait décidé de
quitter la maison paternelle et d’aller vivre à Montréal pour pouvoir
fréquenter les musées et les bibliothèques. Il lui avait confié qu’il réalisait
enfin le rêve de sa vie. Il lui avait aussi dit qu’il s’habituait mal à la
présence des enfants de son frère. Il était trop vieux pour se faire réveiller
la nuit.
    Leur univers était restreint. Elles ne
recevaient pas d’invités, sauf ceux qui s’imposaient comme Joachim Crête, et
les quêteux. Elles consacraient donc leurs énergies à enseigner et à s’en
amuser. Pour tout loisir, elle avait continué à faire des dentelles et cousait
de plus en plus, essayant de reproduire les modèles qu’elle trouvait intéressants
dans les rares revues qu’elle se procurait.
    En cette fin de journée du mois d’août, Émilie
revint du village en claquant la porte. Blanche sursauta. Sa mère, à force de
répéter à ses élèves de ne pas faire de bruit et de donner l’exemple pour chacun
des gestes à effectuer en silence, habitait la maison en sourdine. Qu’elle
claquât la porte annonçait un orage. Blanche se précipita au-devant d’elle,
mais Émilie l’écarta pour se diriger vers la cuisine. Elle sortit l’escabeau
encombré de toiles d’araignées, le plaça sous la trappe qui menait au grenier
et commença à grimper. Blanche, affolée, se précipita pour tenir l’escabeau et
éviter à sa mère de chuter.
    – Qu’est-ce que vous faites, moman ?
Si vous voulez quelque chose dans le grenier, vous avez juste à me le demander.
Vous avez plus l’âge de faire des acrobaties.
    – J’ai l’âge de faire ce que je veux.
    Blanche ravala ce qu’elle venait de dire et
regarda sa mère pousser la planche qui fermait l’entrée du grenier.
    – Avez-vous besoin d’aide ?
    – Non !
    Blanche n’insista plus, se contentant de ne
pas lâcher prise et de recevoir des mains de sa mère une grosse valise vétusté
qu’elle n’avait pas souvenir d’avoir vue. Sa mère reposa son pied gauche sur
l’échelon du haut et redescendit en grommelant quelque

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