Le cri de l'oie blanche
Elle renifla et lui donna un coup de coude.
– Abracadabra ! Le curé Grenier
était là, le curé Grenier est plus là.
– Pourquoi est-ce que tu dis ça ?
Blanche raconta la complicité du curé du temps
de ses fréquentations avec Napoléon. Elle essaya de colorer le tout de dizaines
de détails croustillants. À travers ses sanglots, Émilie riait enfin.
– Pis tu dis qu’à la hauteur de son
chapeau tu savais s’il apportait une lettre ou pas ? Ah ! ah !
ah ! Cré curé Grenier !
Ovide venait de quitter la rue Notre-Dame pour
se diriger vers le rang sud. Une automobile lui coupa la route et freina
rapidement devant lui. Le cheval se cabra et Blanche poussa un petit cri. Elle
n’était plus tellement habituée à rouler en calèche. Ovide parvint facilement à
immobiliser la voiture mais blêmit lorsqu’il vit Joachim Crête sortir de
l’automobile et se diriger vers eux. Émilie se redressa et plaça son chapeau.
– Tiens, Émilie. J’avais bien pensé que
c’était toi.
Il regarda Blanche et Ovide, qui semblaient se
serrer davantage contre Émilie.
– C’est une ben grande perte pour la
paroisse. Ben grande. À c’t’heure, on va attendre le nouveau curé. On sait
jamais, peut-être que celui-là aimera pas les orphelines qui ont des parents
bien vivants. Peut-être aussi que les commissaires d’école vont commencer à
regarder qui c’est qui est à la messe le dimanche pis qui c’est qui y est pas.
C’est facile à voir quand on passe la quête… Peut-être que les commissaires
vont perdre les papiers qui demandent l’installation de l’eau pis l’électricité
dans la petite école du rang sud…
– Joachim Crête, mon vaurien, tu es mieux
de la fermer tout de suite. Si tu dis encore un mot, le curé Grenier va se
retourner dans sa tombe parce que moi j’vas lâcher le plus gros sacre jamais entendu à Saint-Tite.
– Prends pas le mors aux dents, Ovide.
C’est pas à toi que je parle. Le curé se retournera pas dans sa tombe. En fait,
je pense que c’est la belle Émilie qui va avoir la pi-tourne dans son
lit.
Ovide, sans vouloir en entendre davantage,
fouetta son cheval avec la bride, et la bête, surprise, partit presque au
galop.
2 6
L’été 1928 s’achevait comme les étés
précédents. Blanche préparait les valises de ses sœurs, qui avaient passé une
partie de leurs vacances chez leur oncle Ti-Ton et qui étaient maintenant chez
Oscar. Elle-même avait pu aller une semaine chez lui, à sa maison d’été située
au lac aux Sables, ce qui lui avait fait grand bien. Elle aimait toujours
autant l’enseignement, avait reçu pour sa troisième année la prime de
l’inspecteur, et maintenant elle et sa mère se pressaient de terminer les
préparatifs pour accueillir leurs nouveaux groupes d’enfants.
Depuis la mort du curé Grenier, deux ans plus
tôt, les choses avaient peu à peu changé. Le nouveau curé avait négocié la
pension de ses sœurs mais maintenant, pour obtenir la gratuité, Blanche devait,
tous les vendredis, aller chercher leur linge sale et le rapporter le dimanche
après-midi. Jeanne, Alice et Rolande étaient nourries, logées mais pas
blanchies. Sa terreur était que la pluie inonde le village pendant les fins de semaine, l’obligeant à pavoiser leurs locaux et
l’école de cordées remplies de linge qui mettait un temps fou à sécher.
Joachim Crête avait mis ses menaces à
exécution et la petite école n’avait reçu aucun rafraîchissement. La peinture
s’écaillait mais les commissaires reportaient toujours aux calendes grecques
l’achat de matériel. De même qu’ils n’avaient jamais accusé réception de la
lettre d’Émilie demandant qu’on installât l’eau courante et l’électricité.
Blanche se doutait bien que Joachim Crête avait intercepté cette lettre et que
les commissaires n’en avaient jamais pris connaissance. Mais sa mère, depuis la
mort du curé Grenier, n’avait plus osé demander. Elle se contentait d’assister
à la messe du dimanche et d’enseigner en donnant le meilleur d’elle-même. Elle
cousait pour sa petite-fille qu’elle allait visiter aussitôt qu’elle disposait
de quelques journées de congé, en profitant pour voir Rose, qui habitait toujours
avec Sarah Leblanc, et Paul, qui était maintenant à Vill e La Salle chez les oblats de Marie-Immaculée. Un Paul toujours
aussi brillant, toujours aussi dépourvu de santé.
Joachim Crête venait souvent à
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