Le cri de l'oie blanche
Rolande appelèrent leur mère
dès qu’elles rentrèrent du lac aux Sables. Blanche les accueillit en souriant,
leur annonçant que leur mère était en voyage. Les trois filles demeurèrent stupéfaites.
– Où ?
– En Abitibi.
– Voir papa ?
– Je pense qu’elle est allée voir
Émilien, pis Clément, pis ses frères à elle.
– Clément est en Ontario, pas en Abitibi.
– Oui, mais là où il est, c’est à deux
pas. Bon ! Bon ! Dépêchez-vous de défaire vos valises pis de mettre
votre linge sale en piles. Demain, on va avoir une grosse journée de lavage.
J’ai fini vos uniformes. Maintenant, il va falloir que vous marquiez vos noms
dans tous vos vêtements.
– Ça donne pas grand-chose. On les met
dans nos sacs de lavage. Notre linge est jamais mêlé avec celui des autres.
– Faut quand même le marquer. Un point
c’est tout.
Ses sœurs la regardèrent et laissèrent tomber
leur entrain. La maison leur sembla lugubre.
– Est-ce que moman va être revenue avant
qu’on parte ?
Blanche feignit de ne pas avoir entendu la
question de Rolande. Si seulement elle avait eu la réponse, elle l’aurait
rassurée. Comment le faire quand elle-même connaissait les mêmes
craintes ?
Jeanne s’approcha doucement de Blanche, qui
était absorbée dans la finition d’un jabot de dentelle.
– Blanche ?
Blanche sursauta.
– Tu parles d ’une
bonne, toi, me faire peur comme ça !
– Je voulais pas marcher trop fort pour
pas réveiller Alice pis Rolande. Blanche, qu’est-ce qui se passe ?
– Rien de plus que ce que je vous ai dit.
– Blanche, j’ai seize ans. À cet âge-là,
toi, tu sortais avec Napoléon. Je suis pas un bébé. Tu peux me dire ce qui se
passe.
Jeanne s’était assise devant Blanche et jouait
avec la cuiller du sucrier. Blanche la regarda et fut tout à coup étonnée de
constater à quel point elle avait vieilli. À vivre seule avec sa mère et à
appeler ses sœurs « les p’ tites »,
elle avait négligé de voir passer le temps. Elle déposa son jabot et, sans
élever la voix, expliqua à Jeanne que leur mère, sans avertissement, avait
décidé, la veille, de partir.
La lettre qu’elle attendait désespérément
n’arriva pas. Elle devait conduire ses sœurs au couvent et Rolande ne cessait
de réclamer sa mère malgré les exhortations au calme de Blanche et de Jeanne.
Le vendredi précédant le dimanche de la rentrée, Blanche se réveilla en sueur.
Elle avait deux choses importantes à effectuer. La première, aller au village
demander qu’on remplace sa mère à l’école. Ce qui l’avait frappée pendant les
heures d’insomnie qui l’avaient assaillie avant l’aube, c’était que sa mère ne
lui avait pas précisé pour combien de temps les commissaires devaient embaucher
la suppléante. La seconde, cesser de bercer ses sœurs de l’illusion que leur
mère serait là pour les voir partir.
Elle se leva en traînant la patte, telle une
condamnée aux travaux forcés. Elle dressa la table, écrivit une note à Jeanne
pour qu’elle prépare le petit déjeuner et quitta l’école avant que ses sœurs ne
se lèvent. Elle enfourcha sa bicyclette, prit résolument la direction du
village malgré une bruine qui lui aspergeait le visage, se demandant comment
elle expliquerait aux commissaires l’absence de sa mère. Elle savait que le
départ d’Émilie avait été remarqué. Elle n’ignorait pas que personne ne l’avait
vue revenir.
Le clocher se dessinait maintenant clairement,
malgré la grisaille du matin. Elle devait d’abord s’arrêter chez Joachim Crête
avant d’aller demander à son oncle Edmond de reconduire ses sœurs au couvent.
Elle tournait et retournait dans sa tête mille phrases d’entrée en matière pour
Joachim mais, dès qu’elle pensait à son regard, les jambes lui ramollissaient.
Pour se donner de l’audace, elle changea de plan et décida d’aller
immédiatement chez son oncle, qui l’accueillit gentiment malgré le fait qu’elle
l’avait réveillé et promit qu’il serait au rendez-vous. Il fut assez discret
pour ne pas demander d’explications.
Elle quitta Edmond et inspira profondément
pour se donner l’énergie d’accomplir la seconde moitié de sa mission. Elle
espérait que, quelque part dans l’oxygène, il y aurait des particules de
courage. La maison de Joachim Crête était en vue lorsqu’elle sut ce qu’elle lui
dirait. Elle pédala plus rapidement, satisfaite de sa
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