Le crime de l'hôtel Saint-Florentin
aimablement de la main. Nicolas s'approcha et reconnut le docteur de Gévigland qui avait soigné Charles Missery à l'hôtel de Noblecourt. Il ôta son tricorne et lui rendit son salut.
— Je ne pensais pas, dit-il, vous revoir si vite. Vous m'en voyez charmé au-delà de toute expression. Venez-vous voir un malade ?
Le docteur sourit d'un air gêné.
— Le croiriez-vous, murmura-t-il, je viens faire l'achat de quelques cadavres.
Nicolas, que la fréquentation de la basse-geôle avait endurci, ne broncha pas.
— À des fins anatomiques, je présume ?
Les yeux noirs de Gévigland s'assombrirent encore davantage, comme noyés de tristesse.
— Hélas, je le voudrais, mais il se trouve que depuis longtemps j'étudie le corps des vénériens ou, plus exactement, je pratique des ouvertures pour mieux mesurer les risques des remèdes qu'on leur inflige et dont, la plupart du temps, ils trépassent. Comme si les moyens de la guérison étaient plus funestes que l'action mortifère de la maladie.
— Quelles méthodes emploie-t-on céans ?
— Des frictions au mercure en pommade, auxquelles s'ajoutent des bains de soufre et une diète prolongée. On plonge les malades par quatre pendant plusieurs heures, dans une même baignoire, faute d'ustensiles plus nombreux. Faute, aussi, d'un accès à l'eau plus aisé. Un seul grand puits remarquable par sa profondeur, des canaux insuffisants et des charretiers par milliers ! Est-ce votre première visite ici ?
— Mes fonctions ne m'y avaient jamais conduit auparavant. Je savais seulement que Bicêtre était à la fois une prison et un hôpital.
— Prison pour les plus repoussants déchets de l'humanité. Hôpital pour la maladie la plus affreuse et tombeau pour les insensés sans recours. Puis-je vous proposer de visiter l'endroit en ma compagnie à moins que des soucis urgents ne vous appellent… ?
— Je suis ici dans le cadre de l'enquête sur l'affaire que vous savez. Je recherche un malade vénérien, ancien fiancé de la victime. Est-il encore ici ? Je l'ignore. Au demeurant, je vous suivrais volontiers.
— Laissez-moi faire, je connais tout le monde ici. La maison est dirigée par une mère supérieure qui a sous sa coupe des sœurs officières et une armée d'aides. Il est vrai que la population de cet endroit fluctue au cours de l'année. L'hiver, le chiffre peut atteindre quatre mille cinq cents personnes.
Nicolas, le cœur serré, suivit son cicérone qui, d'un ton égal, lui expliquait les scènes atroces qui se succédaient sous leurs yeux. L'hôpital, qu'ils visitèrent d'abord, renfermait les individus infectés de la maladie. Des rangées de lits entassés dans des salles se multipliaient à l'infini. Il nota que chaque couchette comprenait souvent cinq à six malheureux stagnant dans leurs excréments. L'air était si suffocant que la nausée faillit le submerger. Le plancher était jonché d'êtres hideux dévoilant chancres et plaies et qui rampaient vers les visiteurs en tendant les mains.
— Ils préfèrent le sol et sa dureté, dit Gévigland, à l'infection et à la malpropreté des lits.
— Sont-ils forcés de se réfugier dans cet enfer ? demanda Nicolas effaré.
— La police en ramasse dans les mauvais lieux. D'autres viennent d'eux-mêmes. Certains réservent leurs places longtemps avant, alors qu'ils ne souffrent encore que de légers symptômes. Quand ils parviennent enfin ici, la maladie atteint souvent son stade le plus funeste.
— Parvient-on à les guérir ?
— Certains, parfois. Cependant, vous devez savoir que la règle de cet hôpital impose que la guérison doit intervenir dans un temps donné, et que la maladie, elle, n'obéit pas à cette obligation. Il en résulte que le patient, après avoir été tourmenté par des remèdes inutiles, se retire sans être guéri avec les conséquences que vous imaginez !
Ils s'engagèrent dans de longues galeries sonores. Par les fenêtres, on apercevait le grand puits de la cour centrale. Ils montèrent des degrés, en descendirent et atteignirent enfin le quartier des fous et des prisonniers communs. Gévigland se fit reconnaître afin que soit ouverte la grille de l'enceinte des insensés.
— Ici commence le dernier degré de l'enfer, dit-il. Tout ce que vous avez vu jusqu'à présent n'était rien. Ce n'est pas un hôpital, mais une sorte de foire de têtes dérangées. Le pire consiste à mélanger les prisonniers sensés avec les fous. Cette
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