Le crime de l'hôtel Saint-Florentin
prisonniers sont « simillimi faeminis moeres, stuprati e constupratores », perdus à toute pudeur.
— Mais quels sont ces malheureux plongés ainsi dans cet enfer ?
— Vous le demandez ? fit M. de Gévigland avec une ironie amère. De simples mauvais sujets coupables de bagarres de rues, d'ivrognerie, d'indécences, de libertinage, que sais-je encore ? Aucun ne s'y trouve pour avoir été convaincu de crimes atroces devant un tribunal régulier ; tous y sont pour ce qu'on appelle des fautes contre la police.
Il sourit et ajouta :
— Ne vous sentez pas visé par cette constatation. Je mesure et apprécie votre généreuse indignation.
— Je suis d'autant moins visé, repartit Nicolas, qu'au début de ma carrière il me souvient d'avoir lu un rapport adressé à M. de Sartine, alors lieutenant général de police, duquel il découlait que les prisonniers de Bicêtre provenaient d'arrestations opérées par la prévôté, le conseil de guerre, le lieutenant criminel et des justices locales, notamment pour le braconnage. Soyez persuadé que M. Le Noir sera informé par moi de la situation de cet endroit.
— Personne jusqu'à présent n'a tenté la plus légère démarche pour apporter un remède à tant d'infamies.
Ils demeurèrent un long moment silencieux, tandis que leur présence continuait à provoquer un hourvari de cris et d'injures.
— Je crois que votre robe n'est pas pour rien dans cet accueil, observa Gévigland. Ils savent reconnaître un commissaire… Mais je n'ai que trop pris sur votre temps. Je vais vous conduire à la mère supérieure et elle vous orientera vers les geôliers qui tiennent les registres.
Un élégant escalier les conduisit au premier étage du bâtiment central. Une sœur se précipita, faisant résonner le dallage. Nicolas la pria de l'annoncer à la mère supérieure, et fit ses adieux à M. de Gévigland. On le fit entrer dans une petite cellule dont le seul mobilier consistait en une table de sapin et deux escabeaux. Une petite femme perdue dans ses voiles noirs le considérait, les mains dans ses manches. Une voix aiguë s'éleva.
— Beaucoup de commissaires passent par cette maison, mais rares sont ceux qui demandent à me voir. En est-on encore à enquêter comme en 1770 ? Se peut-il que la charité répandue par cet établissement ne suffise pas à justifier son existence ? Nous chercherait-on noise ?
Elle eut un geste de la main, comme si elle écartait des mouches.
— Rassurez-vous, ma révérende mère, répondit Nicolas, je ne suis pas venu à Bicêtre pour une inspection. Une enquête criminelle en cours m'a jeté à la recherche d'une personne que je pense avoir été pensionnaire dans cette maison.
— Un insensé ou un vénérien ? demanda-t-elle sèchement.
— Un vénérien, selon nos sources. Et cela dans les six ou huit derniers mois. Il se nomme Anselme Vitry, jardinier à Popincourt, entre vingt et trente ans d'âge.
— Est-il venu ici de son plein gré, ou conduit par la prévôté ? Cela a son importance.
— Sans en être assuré, je pencherais pour la seconde hypothèse.
Elle frappa dans ses mains. La sœur qui avait introduit Nicolas surgit aussitôt et reçut les instructions de sa supérieure.
— Connaissez-vous la famille Duchamplan, ma révérende mère ? ajouta Nicolas.
Elle parut se détendre à l'énoncé de ce nom.
— Certes oui ! M. Duchamplan l'aîné est administrateur de Bicêtre, et nous pouvons toujours compter sur sa bienveillance. Quant à sa sœur, Louise de l'Annonciation des Filles de Saint-Michel, il arrive que nous nous écrivions. Parfois, elle nous envoie de malheureuses créatures à soigner et, d'autres fois, a l'extrême compassion de placer des malades guéris.
— Vous avez sans doute aussi rencontré le frère cadet ?
Elle se mit à rire.
— Il est si charmant ! Il vient parfois visiter nos malades, s'entretient avec eux et leur apporte des douceurs.
— N'est-ce pas là une activité bien étrange pour un garçon de cet âge ?
— La charité n'a pas d'âge, fit la religieuse, piquée.
La sœur rentra dans la cellule.
— Il faudrait que M. le commissaire m'accompagnât au greffe.
— Monsieur, je ne vous retiens pas, dit la mère supérieure.
Il salua et sortit.
Le greffier, homme discret, finit par retrouver les traces d'Anselme Vitry. Quelques remarques en apostille de son nom éclairaient sur sa situation. Pris au cours d'une rafle dans
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