Le crime de l'hôtel Saint-Florentin
dépôt de son produit à Paris, Grand-Cour des Quinze-Vingt 11 , chez un mercier à l'enseigne de « l'Y grec ». Nicolas savait que chaque bouteille était enveloppée dans une notice explicative qui éclairerait son fils sur la manière de se servir de cette essence.
Il souhaitait aussi passer chez Mme Peloise qui tenait un magasin d'une grande quantité de pierres de composition de couleurs différentes imitant les pierres fines, vis-à-vis de la Comédie-Française. Il en choisirait une sur laquelle il ferait graver les initiales de son fils afin de la faire monter en cachet. L'idée le traversa un moment d'y placer les armes des Ranreuil pour rattacher le petit-fils au grand-père dans une sorte de continuité de la lignée. Un instinct secret le fit hésiter, comme s'il craignait que cette initiative ne pût susciter des inconvénients pour le jeune Le Floch. Il s'interrogea un long moment sur le sens de sa décision. Pourquoi son père et lui-même se trouvaient-ils dans la situation d'avoir tous deux un fils naturel ? Simple coïncidence ou bien sorte de répétition fatidique dont la raison lui échappait ? Enfin, il envisageait de faire en musant la tournée des bouquinistes pour y déterrer quelques livres de valeur qui pourraient, avec intérêt, être joints au paquet qu'il enverrait prochainement à Louis au collège de Juilly.
Il constata avec satisfaction que ses emplettes projetées le conduiraient dans le même quartier, la rue Saint-Honoré et les abords du Louvre. Après une marche roborative, il commença sa tournée chez Mme Peloise. Cette habile commerçante parvint à lui faire dépenser beaucoup plus qu'il n'avait envisagé. Une intaille antique, représentant un profil romain montée sur un manche d'argent, le ravit et effaça son choix précédent de cachet à initiales. L'objet était à la fois plus élégant et moins banal, plus discret aussi, et inimitable. De là, il se porta chez le dépositaire de l'essence pour les taches, qui lui simplifia les choses en lui assurant pouvoir faire livrer à Juilly la quantité voulue de son produit au nom de Louis Le Floch.
Il quitta le dédale des vieilles rues autour des Quinze-Vingt pour gagner les Galeries du Louvre. Il constata avec regret que le vieux palais des rois paraissait de plus en plus défiguré par des excroissances de toutes sortes. La colonnade avait été récemment dégagée et déjà une multitude de fripiers l'insultait par des étalages de guenilles et de haillons. Nicolas déplora que la présence des académies entraînât le logement de certains de leurs membres au détriment de la beauté du lieu. Partout surgissaient des maisons en charpente, y compris dans les enclos du monument. Des escaliers difformes les agrémentaient aux dépens de la majesté de l'ensemble. Il se souvint d'une conversation entre M. de La Borde et le marquis de Marigny, frère de Madame de Pompadour et surintendant des bâtiments, sur le dessein généreux de rétablir le palais dans sa splendeur ancienne. Il citait Voltaire qui gémissait de voir le Louvre « monument de la grandeur de Louis XIV, du zèle de Colbert et du génie de Perrault caché par des bâtiments de Goths et de Vandales ».
Une multitude d'échoppes s'incrustaient dans les interstices de l'immense construction. On trouvait là des marchands de tableaux et de gravures. Le faux y était plus fréquent que le vrai et la lieutenance générale de police s'acharnait à régler quelques affaires pendables dans lesquelles de riches étrangers, victimes des crocs du métier, avaient fait jouer leur entregent et leurs ambassades. En 1772, Nicolas avait réussi à démasquer un groupe de faussaires et ce succès avait jeté un coup de pied bénéfique dans cette fourmilière.
Il était bien connu par les marchands, honnêtes ou pas, et son arrivée produisait toujours un frémissement de crainte. Profitant de la présence d'amateurs éclairés, des bouquinistes avaient choisi de faire cause commune avec les vendeurs d'estampes et de tableaux, et proposaient aux chalands le moins bon et, parfois, le meilleur. Nicolas se souvenait de quelques heureuses découvertes, comme celle d'une édition originale du Pâtissier Français de François-Pierre de la Varenne. Ce petit in-12 en maroquin rouge publié à Amsterdam en 1655 par Louys et Daniel Elzévir, offert à M. de Noblecourt, avait mis celui-ci au bord de la pâmoison. Les bouquinistes hantaient les maisons en deuil,
Weitere Kostenlose Bücher