Le crime de l'hôtel Saint-Florentin
trouvées près de Marguerite Pindron.
— Le fait que des mules ressemblent à des mules n'emporte pas ma conviction, s'impatienta Testard du Lys.
— Le fait saute pourtant aux yeux, dit Nicolas en désignant les deux paires posées sur le coffre. Je comprends la réticence de M. le lieutenant criminel ; heureusement, je dispose d'une autre pièce.
Il se dirigea vers le coffre et déplia un habit vert jade orné de fausses pierres.
— Voyez cet habit, messieurs. Il a été dûment et régulièrement saisi dans la garde-robe de Duchamplan cadet. Nous remarquons, à hauteur de cette boutonnière, une série de pierres fausses d'un blanc bleuâtre dans laquelle une manque à l'appel.
Il sortit de sa poche un petit papier plié en quatre qu'il posa sur la grande table. Il le déplia.
— La voici. Elle a été retrouvée sur la berge, près du corps de la Marot.
Un long silence suivit la démonstration de Nicolas.
— Le ciel, par bonheur, aide parfois la justice, reprit celui-ci. Il permet qu'on découvre un fil d'argent abandonné à dessein par un meurtrier et autorise qu'on retrouve une pierre perdue par mégarde par le même meurtrier. Le ciel favorise aussi l'enquêteur, aidé, il est vrai, par la science des médecins qui savent découvrir l'invisible dans les profondeurs secrètes du corps humain. Il se trouve que la fille Marot, ainsi que la jeune fille de la triperie chaudière, avaient ingéré, peu avant leur mort, des quantités, retrouvées dans leurs entrailles, du fruit de l'ananas, cette plante exotique qui nous vient des îles et qu'on s'efforce à grand prix d'acclimater dans de nobles maisons. J'en admirais naguère de fort beaux dans la serre chaude du feu roi à Trianon.
— Au-delà de ces détails immondes, vous n'allez pas prétendre, s'indigna Testard du Lys, dont la figure blême s'allongeait à la pensée des perspectives ouvertes, que ces victimes ont fréquenté des maisons royales ?
— Que non pas ! J'ai soigneusement évité, au contraire, d'y dépêcher mes enquêteurs. La recherche s'est cantonnée à des demeures civiles, point trop éloignées de lieux avoisinant la rivière où les cadavres furent retrouvés. Imaginez notre surprise de découvrir que ce fruit était cultivé dans l'hôtel du marquis de Chambonas, à Montparnasse, personnage sur lequel notre attention avait été attirée par une maquerelle de la place, fort introduite dans un milieu où se pratiquent certaines réunions nocturnes. L'établissement de bains où fut arrêté Duchamplan nous a donné quelque idée de la nature de ces soirées.
— Il faut vous préciser, monsieur, dit Le Noir au lieutenant criminel, que ce personnage est bien connu de nos inspecteurs pour sa réputation d'extravagance. Il est le grand maître d'une société libertine que son père avait créée. Il a beaucoup de dettes et une réputation fort équivoque. Il a épousé la fille de la marquise de Langeac, la Belle Aglaé, l'une des enfants naturels du duc de la Vrillière. On dit que le couple est fort dépareillé et que la marquise est battue plus qu'à son tour. Quant au mari, ayant envisagé dans cette alliance la chance d'une fortune et d'un grand crédit, il en veut au ministre de la disgrâce de sa belle-mère et du déshonneur d'une semblable mésalliance.
— Je vous entends, dit Testard du Lys. Cependant tout ce fatras d'informations accroît encore la confusion de mon esprit. Quel lien peut-il y avoir entre tous ces crimes ?
— Monseigneur, répondit Nicolas, je suis intimement persuadé qu'on a voulu compromettre M. de la Vrillière dans une suite de crimes. Le premier, celui de Marguerite Pindron, répondait à plusieurs nécessités. Entraînée par son jeune amant dans des soirées qui la révoltent par leurs excès criminels, je l'imagine devenue un danger, soit qu'elle parle, soit qu'elle exerce un chantage. À cela s'ajoutait l'avantage pour un Duchamplan de voir disparaître un possible parti pour Jean Missery et d'éviter ainsi une éventuelle dissipation de la fortune dont le maître d'hôtel jouissait en usufruit. Ensuite, puisque la première tentative paraît avoir échoué, il faut multiplier les occasions de compromission de la personne du ministre. Je crains, en réalité, qu'Eudes Duchamplan ne soit un monstre qui, impliqué dans ce complot, y trouve satisfaction à ses perversités. Je l'ai vu, de mes yeux vu, torturer une jeune fille avec un visage effrayant de délectation
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