Le Crime De Paragon Walk
ces termes de
quelqu’un qui aurait pu être tué.
Il riait d’elle intérieurement, et elle s’en rendit compte.
— Et pourquoi donc ? demanda-t-il.
Elle ne le savait pas très bien, sinon que sa mère aurait
dit la même chose. Elle préféra ne pas s’expliquer là-dessus. La meilleure
défense, c’était encore l’attaque.
— Alors qui est-ce ? Pourquoi ne pas me le dire
carrément ?
— C’est la belle-sœur de Jessamyn Nash, une jeune fille
prénommée Fanny.
Tout à coup, le bon ton ne semblait plus de mise.
— Pauvre petite, dit-elle doucement. J’espère que ça a
été rapide et qu’elle ne l’a pas vraiment senti.
— Ça m’étonnerait. Elle a été violée d’abord, puis
poignardée. Elle a réussi à retourner chez elle pour mourir dans les bras de
Jessamyn.
Prise d’une subite vague de nausée, Charlotte se figea, sa
fourchette suspendue en l’air.
Il s’en aperçut.
— Pourquoi diable me demandez-vous ça en plein dîner ?
lança-t-il, exaspéré. Il y a des morts tous les jours, et vous n’y pouvez rien.
Mangez.
Elle faillit rétorquer que ce n’était pas une consolation, quand
elle comprit qu’il devait être bouleversé aussi. Il avait certainement vu le
corps – cela faisait partie de son travail – et parlé à ses proches. Charlotte,
elle, pouvait seulement l’imaginer, or il était possible de faire taire son
imagination, mais pas sa mémoire.
Obéissante, elle porta la nourriture à sa bouche sans le
quitter des yeux. Son visage était calme, et sa colère était retombée, mais ses
épaules trahissaient sa tension, et il avait oublié de se servir la sauce qu’elle
avait si soigneusement préparée. Etait-ce la mort de cette jeune fille qui l’affectait
à ce point-là… ou bien quelque chose d’infiniment plus grave, la crainte de
découvrir une vérité sordide, le touchant de plus près, quelque chose qui
concernerait George ?
2
Le lendemain matin, Pitt se rendit tout d’abord au poste de
police, où Forbes l’accueillit, la mine lugubre.
— Bonjour, Forbes, lança-t-il gaiement. Que se
passe-t-il ?
— Y a le médecin légiste qui vous cherche, répondit
Forbes en reniflant. Il a un message à propos du cadavre d’hier.
Pitt s’arrêta.
— Fanny Nash ? Quel message ?
— J’en sais rien. Y veut pas le dire.
— Eh bien, où est-il ?
Que diable pouvait-il avoir à lui signaler, hormis l’évidence ?
Etait-elle enceinte ? Il ne voyait pas autre chose.
— Il est allé boire une tasse de thé, dit Forbes en
secouant la tête. On va retourner à Paragon Walk, hein ?
— Bien sûr !
Pitt lui sourit, et Forbes lui rendit son regard d’un air
maussade.
— Vous en saurez un peu plus sur la vie des
aristocrates. Il faudra interroger le personnel de la réception.
— Chez Lord et Lady Dilbridge ?
— Exactement. Bon, je dois aller voir ce médecin.
Pitt sortit du bureau et s’en fut dans la petite taverne au
coin de la rue où il trouva le fringant médecin légiste devant une théière. Quand
Pitt entra, il leva les yeux.
— Thé ? proposa-t-il.
Pitt s’assit.
— Peu importe le petit déjeuner. Qu’en est-il de Fanny
Nash ?
— Ah…
Le médecin légiste but une grande gorgée de sa tasse.
— Drôle d’histoire. Ce n’est peut-être rien du tout, mais
je préfère le mentionner. Elle a une cicatrice sur la fesse, la fesse gauche, assez
bas. Ça a l’air relativement récent.
Pitt fronça les sourcils.
— Une cicatrice ? Et alors, ça signifie quoi ?
— Probablement pas grand-chose, fit le médecin en haussant
les épaules. Mais elle est en forme de croix : un long trait barré d’un
trait plus petit dans sa partie inférieure. Très régulière, la croix, mais le
plus drôle, c’est que ce n’est pas une coupure.
Son regard brillant se posa sur Pitt.
— C’est une brûlure.
Pitt demeura parfaitement immobile.
— Une brûlure ? fit-il, incrédule. Comment diable
aurait-elle pu se brûler de la sorte ?
— Aucune idée. D’ailleurs, entre nous, je préfère ne
pas y penser.
Pitt quitta la taverne perplexe, ne sachant quelle
importance accorder à cette découverte. Il s’agissait peut-être simplement d’un
accident malencontreux et somme toute banal. En attendant, il fallait
poursuivre la tâche fastidieuse consistant à établir l’emploi du temps des uns
et des autres au moment du meurtre. Il avait déjà vu Algernon Burnon, le fiancé
de
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