Le Crime De Paragon Walk
pas. Toutes ses
émotions étaient intériorisées, sévèrement bridées : seule la distinction
comptait.
— Je me demandais si par hasard Miss Nash ne s’était
pas confiée à vous, commença-t-il. Comme vous êtes sa belle-sœur, elle aurait
pu vous dire si quelqu’un la poursuivait de ses assiduités ou si l’on s’était
permis une réflexion insultante à son endroit. Ou alors si elle avait rencontré
un inconnu dans le quartier ? ajouta-t-il, décidé à continuer. Ou
vous-même, peut-être ?
Ses mains se crispèrent, et elle le dévisagea, atterrée.
— Bonté gracieuse ! Vous ne pensez tout de même
pas qu’il rôde toujours par ici ?
Il hésita : d’un côté, il voulait la rassurer, car la
peur au moins était un sentiment familier, mais, de l’autre, il savait qu’il
était stupide de mentir. Il opta pour une vérité anodine :
— S’il s’agit d’un vagabond, il a sûrement poursuivi
son chemin. Seul un imbécile resterait dans un endroit qui grouille de policiers
lancés à ses trousses.
Elle se détendit visiblement et se permit même de s’asseoir
sur le bord d’un fauteuil ventru.
— Dieu soit loué ! Grâce à vous, je me sens déjà
beaucoup mieux. Évidemment, j’aurais dû y penser moi-même.
Soudain, elle fronça ses sourcils blonds.
— Mais je ne me souviens pas avoir croisé un étranger
dans la rue, du moins pas dans ce style-là. Autrement, j’aurais envoyé un valet
pour le chasser.
Il ne sèmerait que terreur et confusion s’il essayait de lui
expliquer que les violeurs ne se distinguaient pas forcément dans la foule. Un
crime avait souvent tendance à surprendre, comme s’il ne s’agissait pas d’un
acte matériel né d’un trop-plein d’égoïsme, de cupidité ou de haine, des
fourberies ayant dépassé les bornes. Elle s’attendait à ce qu’il fût
reconnaissable, différent, rien à voir avec son entourage habituel.
Il serait pénible et inutile de vouloir la détromper. Pitt
se demanda pourquoi, après tant d’années, il s’en souciait encore et, qui plus
est, pourquoi cela l’affectait.
— Peut-être Miss Nash vous a-t-elle fait des
confidences ? Si quelqu’un l’a contrariée ou s’est permis des privautés à
son égard ?
Elle ne se donna même pas la peine de réfléchir.
— Certainement pas ! Si cela s’était produit, j’en
aurais parlé à mon mari, et il aurait pris des mesures !
Ses doigts trituraient un mouchoir sur ses genoux, dont elle
avait déjà déchiré la dentelle.
Pitt imaginait facilement les « mesures » en
question. Cependant, il ne voulait pas capituler, pas encore.
— Elle n’a exprimé aucune crainte, mentionné aucune nouvelle
connaissance ?
— Non, dit-elle, secouant la tête avec véhémence.
Il soupira et se leva. Il n’y avait rien d’autre à en tirer.
Il sentait que s’il l’effrayait en lui disant la vérité, elle l’occulterait
purement et simplement ; la peur aveugle l’emporterait sur la raison et la
mémoire.
— Merci, madame. Navré d’avoir dû vous contrarier.
Elle sourit avec effort.
— C’était sûrement nécessaire, inspecteur, ou vous ne l’auriez
pas fait. Vous désirez sans doute voir mon beau-frère, Mr. Fulbert Nash ? Malheureusement,
il n’a pas passé la nuit ici. Si vous repassez dans l’après-midi, il sera
peut-être rentré.
— C’est entendu, merci. Ah, fit-il, se rappelant la
curieuse marque relevée par le médecin légiste, savez-vous par hasard si Miss
Nash a eu un accident récemment, où elle se serait brûlée ?
Il préférait ne pas citer l’endroit de la brûlure : elle
en serait profondément gênée.
— Brûlée ? répéta-t-elle faiblement. Non, je ne
vois pas. Je ne suis pas au courant. Peut-être… qu’elle s’est…
Elle toussota.
— … intéressée à la cuisine ? Il faudrait demander
à ma belle-sœur. Je… je n’en ai pas la moindre idée.
Sa réaction laissa Pitt perplexe. Elle avait l’air
positivement horrifiée. Était-ce parce qu’elle connaissait l’emplacement de la
blessure et que d’en parler avec un homme qui, de surcroît, lui était très
inférieur dans la hiérarchie sociale la mettait au supplice ? Il ne la
comprenait pas suffisamment pour en juger.
— Je vous remercie, madame, dit-il doucement. C’est
probablement sans importance.
Et, avec force murmures de politesse, il fut reconduit par
le valet dehors, dans la rue ensoleillée.
Pendant plusieurs
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