Le Crime De Paragon Walk
mal et quelle en sera la rétribution.
Il y avait cependant quelque chose chez Freddie qui dérangeait Pitt. Il n’avait pas encore déterminé quoi. Les soirées orgiaques n’étaient pas une exception. Les gens qui s’ennuyaient, délivrés de la nécessité de gagner leur pain ou même de gérer leurs biens, des gens dépourvus d’ambition s’amusaient parfois à satisfaire leurs propres penchants, voire les tendances excentriques de leur entourage. Le voyeurisme n’était pas une nouveauté, qui s’accompagnait souvent d’un petit chantage moral, histoire de prouver qu’on était le plus fort.
Ce tableau correspondait bien à l’idée qu’il se faisait d’Afton Nash. Il sentait chez lui une cruauté, une propension à jouir de la fragilité d’autrui, surtout la fragilité sexuelle. Il était tout à fait capable de sacrifier aux goûts qu’il méprisait, pour le plaisir de savourer son propre sentiment de supériorité. Pitt n’avait jamais rencontré de personnage plus antipathique. Être victime de ses fautes, aussi ineptes fussent-elles, cela, il le comprenait. Mais se régaler et tirer profit de la faiblesse d’autrui ne suscitait chez lui pas la moindre once de compréhension.
Debout à la tête de la tombe, Afton fixait le pasteur d’un regard dur et sombre. Il est vrai qu’il avait enterré un frère et que sa sœur avait été assassinée en l’espace d’un court été. Se pouvait-il que, suprême hypocrite, il eût violenté et tué sa propre sœur, puis poignardé son frère pour garder le secret ? Était-ce la raison pour laquelle Phoebe se décomposait de terreur sous leurs yeux, glissant de l’extravagance vers la folie? Seigneur miséricordieux, si c’était le cas, Pitt se devait de le démasquer, avec preuves à l’appui, et de le faire enfermer. Il n’était pas partisan de la pendaison. C’était pourtant chose courante, l’un des moyens mécaniques de la société de se purger de son mal ; néanmoins, il trouvait cela répugnant. Il en savait trop sur les crimes, sur la peur ou la folie qui les engendraient. Il avait vu et senti la misère noire, les morts et les maladies innombrables dues à la faim dans les quartiers pauvres, et il savait qu’il existait des assassins aux mains propres, une extermination à distance que la société du profit aveugle ne voyait même pas. On mourait de faim à cent mètres des morts par obésité.
Cependant, si jamais Afton était coupable, il était prêt à l’envoyer à la potence sans trop de scrupules.
Le Français, Paul Alaric, était là également, à supposer qu’il fût réellement français. Peut-être venait-il des colonies africaines? Il était bien trop raffiné, trop ironique et subtil pour être originaire des grandes plaines venteuses et neigeuses du Canada. On sentait un très long passé derrière lui : Pitt l’imaginait mal appartenant au Nouveau Monde. Tout en lui évoquait des siècles de civilisation, des racines plongeant au cœur même d’une vieille culture, d’une histoire riche et obscure.
Sa tête brune baissée contre le vent qui forcissait, il était beau et distingué même dans ce cimetière. Son attitude était celle du respect pour le mort, de la courtoise observance des coutumes. Etait-ce la seule raison de sa présence ici? Pitt ne lui connaissait aucun lien avec Fulbert, hormis celui du voisinage.
Serait-ce lui, l’acteur principal? Ce visage intelligent masquait-il un désir inassouvi, désir si impérieux qu’il l’avait poussé à agresser d’abord Fanny, puis une Selena plus que consentante? Ou n’était-elle pas si consentante que cela, au moment des faits ?
Il ne pouvait se permettre de négliger cette éven-tualité-là; son devoir consistait à tout envisager, même les hypothèses les plus improbables. Il n’arrivait pourtant pas à croire qu’Alaric cachait son jeu. A force d’étudier les gens, Pitt était devenu très bon juge : il avait découvert qu’il n’était pas facile de tromper un observateur attentif, quelqu’un qui écoutait chaque phrase, surveillait les yeux, les mains, les petites duperies flattant l’amour-propre, les menus signes de cupidité ou d’ambition, les preuves d’un égoïsme foncier, les regards fuyants, les insinuations abjectes.
Alaric était peut-être un séducteur, mais un violeur, sûrement pas.
Restait Hallam Cayley. De l’autre côté de la fosse, il fixait Jessamyn quand on commença enfin à pelleter la terre. Les
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