Le Crime De Paragon Walk
pas de femmes en dehors de la famille proche, Phoebe et Jessamyn Nash. Le teint cireux, des poches noires sous les yeux, Phoebe faisait peur à voir. Voûtée, elle ressemblait de dos à une vieil-larde. Pitt avait déjà vu cette allure résignée chez des enfants maltraités : bien que terrifiés, ils ne prenaient même plus la peine de fuir, trop sûrs du coup à venir.
Jessamyn, c’était tout autre chose. Droite comme un I, le menton en l’air, même le voile noir lui tombant sur le visage ne parvenait pas à masquer son teint lumineux et l’éclat de ses yeux, rivés sur les branches d’ifs qui remuaient au fond, là où l’allée conduisait vers le porche du cimetière. Seules ses mains trahissaient son émotion : elle les serrait si fort que, n’étaient-ce les gants, les ongles auraient sûrement entamé la chair.
Les hommes étaient tous là. Pitt les examina un à un, fouillant sa mémoire pour en extraire ce qu’il savait sur eux, cherchant les causes, les inconséquences, tout ce qui déboucherait sur un début de réponse.
Fulbert avait été assassiné parce qu’il savait qui avait violé Fanny, puis Selena. Il n’existait tout de même pas un autre mobile, un autre secret dans Paragon Walk susceptible de mener jusqu’au meurtre ?
Était-ce Algernon Bumon? Il ne fallait pas être spécialement fort pour donner un seul coup de couteau. Il se tenait près de la fosse béante, la mine grave et réservée. Très vraisemblablement, il n’avait pas eu beaucoup d’amitié pour Fulbert. C’était donc à Fanny qu’il songeait. L’avait-il aimée? Quel que fût son chagrin, il l’abritait derrière une façade minutieusement façonnée depuis des générations. Un gentleman n’étalait pas ses sentiments en public. Il était malséant, efféminé, de faire montre de sa détresse. Un gentleman s’arrangeait même pour mourir avec dignité.
Qui avait décidé de ces longues fiançailles? S’il avait éprouvé une passion aussi dévorante pour elle, n’aurait-il pas insisté pour avancer la date du mariage? De nombreuses femmes de l’âge de Fanny, ou même plus jeunes, se mariaient; cela n’avait rien de précipité ni d’inconvenant. En regardant le visage calme d’Algemon, Pitt eut du mal à croire qu’il fût habité par quelque ardeur ingouvernable.
A côté de lui se tenait Diggory Nash, près de Jes-samyn, mais sans la toucher. Du reste, elle semblait avoir si peu besoin d’une main secourable qu’il eût été presque indiscret, impertinent, de lui en tendre une. Isolée dans son propre monde, elle ne prêtait aucune attention aux autres, pas même à son mari.
Savait-elle quelque chose sur Diggory qui leur aurait échappé? Pitt le scruta à la dérobée de son refuge sous les ifs. Il avait un visage moins régulier qu’Afton, mais nettement plus chaleureux. Toute trace de rire avait disparu, mais les lignes restaient, ainsi qu’une certaine douceur dans les contours de la bouche... l’autorité d’Afton en moins, peut-être? Était-il possible qu’une lubie, une vieille habitude de satisfaire ses penchants l’eussent conduit à se tromper de personne dans le noir, à violer sa propre sœur et à l’assassiner pour cacher sa méprise?
Mais dans ce cas, ne se serait-il pas déjà trahi, depuis tout ce temps? Assailli par la terreur et le remords qui auraient hanté sa solitude, l’auraient privé de sommeil, il aurait fini par commettre quelque acte insensé avant de sombrer. Quand Forbes avait interrogé les servantes, aucune n’eut à se plaindre du comportement de Diggory. Il y avait certes eu des avances, mais sans forcer le consentement des intéressées. Et les rares refus avaient été accueillis avec humour et résignation.
Non, selon toute vraisemblance, Diggory était exactement ce qu’il prétendait être.
Et George? Pitt savait à présent pourquoi il s’était montré aussi évasif au départ. Il avait été simplement trop soûl pour se rappeler où il était allé... et trop gêné pour le reconnaître. Peut-être la frayeur lui servirait-elle de leçon, du moins vis-à-vis d’Emily?
Freddie Dilbridge. En ce moment même, il lui tournait le dos, mais Pitt l’avait observé tandis qu’il remontait l’allée derrière le cercueil. Son visage anxieux reflétait la confusion plutôt que la peine. Si peur il y avait, c’était la peur de l’inconnu, de l’inexplicable, et non la peur ordinaire de quelqu’un qui sait précisément où est le
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