Le Crime De Paragon Walk
lourdes mottes de glaise rebondissaient sur le couvercle avec un bruit creux, presque comme s’il n’y avait pas de corps au-dessous. Un à un, ils se détournaient et s’en allaient... l’usage avait été respecté. Maintenant, c’était aux fossoyeurs de finir : remplir l’excavation et tasser la terre. Une fine bruine flottait dans l’air, rendant les allées dangereusement glissantes.
Hallam marchait à côté de Freddie Dilbridge. Quand Pitt émergea de sous les ifs, pressant le pas pour ne pas les perdre de vue, il aperçut le visage de Hallam. On aurait dit un homme hanté par un cauchemar : les marques de petite vérole semblaient plus prononcées ; il était blême et en sueur. Ses yeux étaient bouffis ; même à distance, Pitt remarqua le tic nerveux qui lui agitait une paupière. Était-ce l’excès de boisson qui l’avait mis dans cet état, et si oui, quel tourment l’avait précipité là-dedans? Ce n’était tout de même pas la perte d’une épouse qui l’avait dévasté à ce point-là? D’après ce que Forbes et lui avaient appris en interrogeant voisins et domestiques, il s’agissait d’un mariage tout à fait banal, fondé sur une affection mutuelle, et non sur une passion ravageuse capable d’anéantir un homme sur son passage.
En fait, plus il y pensait, moins il trouvait cela plausible. Hallam s’était mis à boire depuis un an seulement, et certainement pas depuis le décès de sa femme. Qu’était-il arrivé il y a un an ? Jusque-là, Pitt n’avait rien découvert.
Il les avait enfin rattrapés. Se retournant brièvement, Hallam le vit. La peur convulsa ses traits, une peur funeste, comme s’il venait de passer devant sa propre tombe et qu’il avait lu son nom sur la stèle. Il hésita, les yeux rivés sur Pitt. A ce moment-là, Jes-samyn parvint à sa hauteur, le visage figé, totalement dénué d’expression.
— Venez, Hallam, dit-elle doucement. Ne vous occupez pas de lui. Il est ici parce que c’est son métier. Ça ne veut strictement rien dire.
Elle parlait d’une voix atone; à force de maîtrise, elle avait réussi à gommer toute trace d’émotion pour se donner la contenance désirée. Elle se tenait à distance, sans le toucher, au moins à un mètre de lui.
— Venez, répéta-t-elle. Ne restez pas là. Vous retardez tout le monde.
Il obéit à contrecœur, non pas qu’il eût envie de partir, mais parce qu’il n’avait plus rien à faire là.
Immobile, Pitt suivit des yeux leurs silhouettes de crêpe noir, sinuant dans l’allée humide en direction du porche avant de sortir dans la rue.
Hallam Cayley pouvait-il avoir violé Fanny? Ce n’était pas impossible. Selon Emily, Fanny était quelqu’un de terne, d’insignifiant, vraiment pas de quoi inspirer une passion. Mais Pitt se rappelait le petit corps blanc sur la table de la morgue. Délicat, virginal, presque enfantin, ossature fine, teint clair. L’attrait résidait peut-être dans cette innocence. Elle n’aurait rien exigé; ses propres sens étaient encore en sommeil : il n’y aurait pas eu d’attente à satisfaire, pas de comparaison possible avec d’autres amants, même pas de rêves, hormis les plus vagues et les plus limpides.
Jessamyn disait qu’elle avait été trop candide pour susciter l’intérêt, trop jeune pour être une femme. Mais fatiguée d’être considérée comme une enfant, Fanny s’était peut-être mise à raisonner en femme, tout en préservant l’image que les autres avaient d’elle. Le rayonnement de Jessamyn avait pu lui donner des idées. Avait-elle exercé ses charmes naissants sur Hallam Cayley, persuadée qu’elle ne courait aucun risque, jusqu’au soir où elle eut la preuve du contraire parce qu’elle était allée trop loin dans son jeu de séduction ?
C’était tout à fait plausible. Plus plausible que la rencontre avec un domestique.
La seconde hypothèse, bien sûr, était qu’on l’avait prise pour quelqu’un d’autre, une servante. Parmi les bonnes et les filles de cuisine, plusieurs lui ressemblaient, sinon de visage, du moins de par leur constitution. Seule la tenue vestimentaire différait. Les doigts d’un homme obsédé auraient-ils senti dans l’obscurité la différence entre les soieries de Fanny et la cotonnade d’une servante?
Il n’en avait pas la moindre idée.
Mais le corps de Fulbert avait été découvert chez Hallam. Les domestiques l’avaient fait entrer — personne ne le niait —,
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