Le Dernier Caton
empereurs, ordonna que l’on fît construire sur le même emplacement son propre mausolée, la mosquée de Fatih Camii, qui, elle, existe encore. De l’ Apostoleion il ne reste rien, pas même une pierre. Mais il faudra attendre les informations de nos hôtes.
— Que leur avez-vous demandé de chercher ?
— Tout, absolument tout. L’histoire complète de l’église avec le plus grand luxe de détails, mais aussi celle de la mosquée. Les plans, cartes et dessins des constructions, les noms des architectes, les objets, œuvres d’art, tous les livres qui traitent de ce sujet, le rituel d’enterrement des empereurs. Comme vous le voyez, je n’ai rien laissé au hasard et je suis sûr qu’ils travaillent d’arrache-pied pour nous. Le nonce apostolique, monseigneur Lewis, m’a dit que nous pouvions également compter sur l’aide d’un des attachés culturels de l’ambassade italienne, expert en architecture byzantine. Le patriarche est désireux de collaborer avec nous parce qu’il a souffert des vols des stavrophilakes. Le peu qui restait de la vraie Croix, reçue par l’empereur Constantin des mains de sa mère, a disparu il y a un mois de l’église Saint-Georges, et pourtant ils avaient été prévenus du danger. Mais le patriarcat de Constantinople, autrefois puissant, est aujourd’hui si pauvre qu’il ne dispose pas de moyens efficaces pour protéger ses reliques. Il reste très peu de fidèles orthodoxes à Istanbul. Le processus d’islamisation a pris une telle ampleur, et le nationalisme est devenu si violent, que la majorité de la population actuelle est turque et de religion musulmane.
À cet instant, le commandant du Westwind nous prévint par haut-parleur que dans moins d’une demi-heure nous atterririons à l’aéroport international Atatürk.
— Nous devrions nous dépêcher de lire le texte de Dante, nous pressa Glauser-Röist en ouvrant de nouveau le livre. Où en étions-nous ?
— Nous venions juste de commencer, dit Farag en feuilletant son propre exemplaire de La Divine Comédie. Dante écoute les esprits des avares réciter le premier verset du Psaume 118.
— Bien. Ensuite Virgile leur demande de leur indiquer l’entrée de la corniche suivante.
— Mais est-ce qu’on a déjà enlevé la marque sur le front de Dante ? l’interrompis-je.
— Dante ne mentionne pas explicitement dans tous les cercles que les anges effacent les cicatrices des péchés capitaux. Mais il signale toujours à un moment qu’après chaque nouvelle montée il se sent plus léger et marche avec plus de facilité. Et, de temps en temps, il rappelle en effet qu’on lui a enlevé un « P ». Vous voulez savoir autre chose ?
— Non merci, vous pouvez continuer.
— Bon… Les avares répondent au poète :
« Si vous venez ici sans être des gisants
et voulez trouver votre chemin plus vite
ayez toujours la droite vers le dehors. »
— C’est-à-dire, interrompis-je de nouveau, qu’ils doivent aller vers la droite en laissant le précipice de ce côté.
Le capitaine me regarda et fit un hochement de tête approbateur.
Fidèle à son habitude, le Florentin se lance alors dans une de ses longues conversations avec un des esprits, celui du pape Hadrien V, qualifié de grand avare par l’Histoire. Je compris alors que le poète plaçait un nombre important de pontifes parmi les âmes du Purgatoire. Y en avait-il une proportion égale en Enfer ? Cela prouvait en tout cas que La Divine Comédie ne faisait pas, comme on le disait traditionnellement, l’éloge de l’Église catholique, mais tout le contraire.
Le capitaine lut les premiers tercets du chant XX, dans lesquels Dante décrit les difficultés que son maître rencontre pour cheminer par cette corniche, car le sol est rempli d’âmes collées et pleurantes.
Je partis ; et mon guide s’avança
par les lieux encore libres près de la roche,
comme on va sur un mur le long des créneaux ;
car ces gens qui versent goutte à goutte,
par les yeux, le mal qui remplit le monde,
s’approchent trop du bord, de l’autre côté.
Nous sautâmes complètement le passage où des esprits chantent des exemples d’avarice punie, ceux du roi Midas, du riche Romain Crassus. Soudain, un tremblement apocalyptique secoue le sol du cinquième cercle. Dante prend peur, mais Virgile le tranquillise d’un : « Ne doute pas tant que je te guide. » Le chant suivant commence par l’explication de cet
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