Le Dernier Caton
étrange phénomène : un esprit a accompli sa pénitence, il a été purifié et met fin à son passage au Purgatoire. Il s’agit pour cette heureuse occasion du poète napolitain Stace qui, son châtiment fini, vient de décoller du sol. Stace, sans savoir à qui il s’adresse, explique aux visiteurs qu’il est devenu poète à cause de sa profonde admiration pour le grand Virgile. Cette confession provoque bien sûr le rire de Dante. Stace se vexe, sans comprendre que l’hilarité du Florentin est due au fait qu’il a devant lui l’homme qu’il dit avoir tant respecté. Le malentendu dissipé, l’homme de Naples tombe à genoux devant Virgile, et se lance dans une longue série de vers élogieux.
Arrivés à ce point, l’avion entama sa descente si brusquement que j’eus soudain les oreilles bouchées. La jeune Paola fit acte de présence pour nous supplier d’attacher nos ceintures et nous offrir une dernière fois ses exquis bonbons. Je bus, ravie, un horrible jus d’orange pour éviter que la pression ne me détruise les tympans. J’étais si fatiguée et courbaturée que je mourais d’envie de m’allonger. Mais, bien sûr, ce luxe m’était interdit alors que nous allions commencer la cinquième épreuve du Purgatoire. Les autres candidats des siècles passés étaient peut-être plus seuls que nous et ne disposaient pas de tant d’aide, mais ils avaient tout leur temps pour effectuer les épreuves, ce qui à mes yeux était un avantage parfaitement enviable.
Nous n’eûmes même pas à entrer dans l’aéroport. Une voiture ornée d’un petit drapeau du Vatican vint nous chercher au pied de la passerelle de l’avion. Précédée par deux motards de la police turque, elle abandonna l’immense piste en passant par une sortie latérale. Comme s’empressa de le constater Farag en caressant l’élégant habillage de la voiture, nous étions montés en grade depuis Syracuse.
J’avais déjà eu l’occasion de me rendre à Istanbul pour mon travail. J’avais gardé le souvenir d’une ville très belle, pleine de charme. La vision de ces horribles blocs d’immeubles semblables à des colonnes de ciment m’horrifia. Quelque chose de terrible était arrivé à l’ancienne capitale de l’Empire ottoman. Tandis que la voiture passait par les rues de la Corne d’Or en direction du quartier du Fhanar où résidait le patriarche de Constantinople, je vis que, près des petites maisons de bois aux magnifiques volets colorés, s’agglutinaient des groupes de Russes qui vendaient des bijoux, et de jeunes Turcs qui, au lieu de la traditionnelle moustache ottomane, portaient de longues barbes. Je notai aussi que le nombre de femmes coiffées du voile noir traditionnel, attaché par une épingle sous le menton, avait augmenté.
Constantinople fut la capitale la plus riche et la plus prospère de l’histoire antique. Depuis le palais de Blakharna, situé sur les rives de la mer de Marmara, les empereurs byzantins gouvernèrent un territoire qui s’étendait de l’Espagne jusqu’au Proche-Orient en passant par l’Afrique du Nord et les Balkans. On disait qu’on pouvait entendre parler dans la ville toutes les langues de la planète et des fouilles récentes avaient montré qu’à l’époque de Justinien et Theodora il y avait plus de cent soixante maisons de bains à l’intérieur des murailles. Néanmoins, tandis que je parcourais ces rues, je ne voyais qu’une ville appauvrie, à l’aspect rétrograde.
Si le centre du monde catholique était la cité du Vatican, splendide par son architecture fastueuse et ses richesses, le cœur du monde orthodoxe se trouvait dans l’humble patriarcat œcuménique de Constantinople, situé dans un quartier pauvre et extrêmement nationaliste des environs d’Istanbul. Les agressions intégristes chaque fois plus nombreuses dont souffrait le patriarcat l’avaient obligé à élever tout autour un mur de protection qui parvenait à grand-peine à remplir sa fonction. Personne n’aurait pu imaginer que, après mille cinq cents ans de gloire et de puissance, telle serait la fin d’un trône chrétien si important.
Tandis que les policiers turcs arrêtaient leurs motos devant la porte du Fhanar et attendaient, le véhicule de l’ambassade traversa le cour centrale et s’immobilisa au pied de l’escalier d’un des humbles édifices qui constituaient l’ancien patriarcat. Un pope d’un âge avancé, le père Kallistos, vint à notre rencontre
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