Le Dernier Caton
Boswell. Mais elle plaisantait, bien sûr. En réalité, le mariage de mes parents fut très heureux. Ma mère s’adapta parfaitement aux coutumes de son nouveau pays et de sa nouvelle religion, même si elle a toujours préféré les rites catholiques romains.
J’étais curieuse de savoir s’il devait la couleur de ses yeux, d’un bleu intense, à sa mère ou à son lointain ancêtre anglais, mais j’eus peur de me montrer indiscrète.
— Professeur Boswell, commençai-je à dire.
— Si on s’appelait par nos prénoms et si on se tutoyait ? me dit-il en me regardant fixement comme toujours. Ici, tout le monde se comporte de manière trop révérencieuse, je trouve.
Je souris.
— C’est parce que au Vatican les relations personnelles ne peuvent se développer que dans un cadre très strict.
— Eh bien, sautons hors des marges ! Vous croyez que monseigneur Tournier ou le capitaine seront choqués ?
— Oh oui ! déclarai-je en riant. Mais tant pis pour eux !
— Parfait ! Alors, Ottavia…
— Farag…
Nous échangeâmes une poignée de main par-dessus la table.
Ce jour-là, je découvris que Farag était un homme charmant, très différent de l’image qu’il donnait en public. Je compris que ce qui l’intimidait, c’était de se retrouver en groupe. Plus le groupe était grand, plus ses tics s’aggravaient : il bégayait, rougissait, se tordait les mains…
Le capitaine me rejoignit le lendemain, la mine sombre, les sourcils froncés, les lèvres serrées en une mince ligne.
— Vous avez de mauvaises nouvelles ? lui demandai-je aussitôt.
— Très mauvaises.
— Asseyez-vous donc et racontez.
— Il n’y a rien à dire, déclara-t-il en se laissant tomber sur la chaise qui craqua sous son poids. On n’a rien trouvé, aucune empreinte, aucun signe de violence, aucune serrure forcée, aucune piste ou trace. Un vol impeccable. Aucune trace de l’entrée dans le pays d’un citoyen éthiopien durant ces dernières semaines. La police belge continue à mener l’enquête. Ils m’appelleront s’ils trouvent quelque chose.
— Il est possible que cette fois le voleur ne soit pas éthiopien, objectai-je.
— Je sais, mais c’est notre seule piste.
Il regarda autour de lui d’un air distrait :
— Comment avancent les choses, ici ? dit-il enfin en posant les yeux sur le folio placé sur ma table.
— Nous progressons de plus en plus vite. Mais je suis le goulot, je n’arrive pas à transcrire et traduire à leur rythme. Il s’agit de textes très compliqués.
— Un de vos adjoints ne pourrait-il pas vous prêter main-forte ?
— Ils ont assez de soucis avec l’analyse paléographique ! Pour l’instant, ils travaillent sur le deuxième Caton.
— Comment ?
— Oui, il y en a eu plus d’un. Le premier, Mirogenes, est mort en 344 semble-t-il. Ensuite, la confrérie des stavrophilakes a élu à sa place un certain Pertinax. C’est lui que nous étudions. Selon mes assistants, Caton II, il s’appelle lui-même ainsi, était un homme très cultivé, possédant un vocabulaire choisi. Le grec que l’on utilisait à Byzance, lui expliquai-je, avait une prononciation très différente de celle du grec classique, qui permit néanmoins de fixer les normes linguistiques et lexicographiques.
Le capitaine me regardait abasourdi, avec l’air de quelqu’un qui ne comprend pas un mot de ce qu’on lui dit. Je m’empressai de lui donner un exemple :
— Il arrivait alors, comme avec l’anglais aujourd’hui, que les enfants dussent apprendre à épeler les mots, puis à les mémoriser parce que ce qu’ils prononçaient n’avait rien à voir avec ce qu’ils écrivaient. Le grec byzantin, après de nombreux siècles de modifications, était aussi compliqué.
— Ah ! je vois…
Enfin, me dis-je, soulagée.
— Pertinax, ou le deuxième Caton, dut recevoir une bonne éducation dans un monastère où l’on copiait des manuscrits. Sa grammaire est impeccable et son style très raffiné, contrairement au premier Caton qui paraissait peu préparé. Certains de mes assistants pensent que Pertinax était peut-être même un membre de la famille royale ou de la noblesse de Constantinople, car sa graphie présente des caractéristiques très élégantes, trop pour un moine.
— Et que raconte ce Caton ?
— Je viens juste de terminer sa chronique, dis-je, très satisfaite de moi. Sous son gouvernement, la confrérie s’est beaucoup
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