Le Dernier Caton
l’Hypogée, et communiqua aux divers responsables des services d’informatique, de restauration, de paléographie et de reproduction photographique, qu’ils devaient abandonner pour l’instant l’idée de retourner à leurs couvents, monastères et autres communautés. La loi martiale avait été décrétée, personne ne sortirait de là tant que la tâche qui devait être accomplie n’aurait pas été terminée. Quand on la leur décrivit, les responsables protestèrent en alléguant que ce travail supposait au moins un mois de dur labeur exclusif. Le père Ramondino leur déclara qu’ils n’avaient qu’une semaine et que si tout n’était pas terminé dans les délais impartis, ils pourraient faire leurs valises et dire adieu à leur carrière au Vatican. Peu de temps après, nous découvririons qu’une telle pression n’était pas nécessaire, mais à l’époque il ne pouvait en être autrement.
Sous les ordres du professeur Boswell, le département de restauration de documents commença par décomposer le manuscrit en séparant les in-folio 5 et en laissant à découvert les plaquettes carrées de la couverture, qui étaient faites de bois de cèdre comme souvent dans le cas de manuscrits byzantins. Ce type de reliure permettait de le dater du IV e ou V e siècle de notre ère. Une fois séparés les folios (il y en avait cent quatre-vingt-deux en tout, ce qui représentait trois cent soixante-quatre pages) fabriqués à partir d’une excellente peau de gazelle qui devait avoir à l’origine une couleur blanche parfaite, l’atelier photographique de reproduction commença à réaliser des épreuves pour voir quelle technique de photographie, par infrarouges ou digitale de haute résolution avec caméra CDD, permettait la récupération la plus complète du texte. On opta finalement pour un mélange des deux, puisque les images obtenues par les deux méthodes, une fois passées au stéréomicroscope et scannées, pouvaient se superposer facilement sur l’écran d’un ordinateur. De cette manière, le vélin fragile et jauni commença à révéler ses magnifiques secrets : cet espace vide ou rempli d’ombres devint une belle esquisse de lettres onciales 6 grecques sans accents ni espaces entre les mots, distribuées en deux larges colonnes de trente-huit lignes chacune. Les marges étaient amples et proportionnées. L’on distinguait clairement les lettres de début de paragraphe, élargies vers le bord gauche et peintes de pourpre. Elles contrastaient avec le reste du texte, écrit à l’encre noire de cendres de fumée.
Quand on eut terminé le premier folio, il n’était pas encore possible de réaliser une lecture complète du texte : il y avait trop de phrases tronquées, irrécupérables à première vue, des fragments entiers dont on ne pouvait rien tirer malgré les techniques modernes. Ce fut alors au service informatique d’intervenir. À l’aide de programmes graphiques sophistiqués, ils commencèrent par sélectionner un ensemble de caractères à partir du matériel récupéré. Comme l’écriture était manuelle, et donc soumise à des variations, ils tirèrent cinq représentations différentes de chaque lettre. Ils mesurèrent les traits verticaux et horizontaux, les courbes et les diagonales, les espaces en blanc de chaque caractère ; ils calculèrent la largeur et la hauteur du corps, la profondeur sous la ligne des traits descendants et la hauteur des traits ascendants. Quand tout cela fut fait, ils m’appelèrent pour m’offrir un spectacle très curieux : alors qu’une reproduction entière du folio apparaissait sur l’écran, le programme essayait automatiquement, à une vitesse vertigineuse, plusieurs caractères pour voir ceux qui entraient dans les espaces vides et s’ajustaient aux restes ou vestiges de l’encre quand il y en avait. Une fois ce travail complété, le système vérifiait que le terme figurait dans le dictionnaire du magnifique programme Ibycus qui contenait toute la littérature grecque connue, biblique, patristique et classique ; si le mot était déjà apparu, il le comparait pour vérifier l’exactitude de la découverte.
Le procédé était efficace mais laborieux. Ainsi, ce ne fut qu’après une journée entière qu’on put me donner une image complète du premier folio dans des conditions presque parfaites, avec quatre-vingt-quinze pour cent du texte récupérés. Le prodige avait eu lieu. L’esprit qui dormait en
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