Le Dernier Caton
confrérie pendant tout ce temps ?
— Oh ! pas grand-chose. Leur principal problème, c’était les pèlerins qui affluaient par milliers. Il fallut organiser une sorte de garde prétorienne autour de la Croix, car, entre autres faits barbares, beaucoup de pèlerins, lorsqu’ils s’agenouillaient pour la baiser, arrachaient des bouts avec leurs dents pour les emporter comme reliques. Il y eut une crise importante en 570, sous le mandat du trentième Caton. Certains frères organisèrent le vol de la relique. Il s’agissait d’anciens pèlerins qui étaient entrés dans la confrérie depuis des années, et que l’on n’aurait jamais soupçonnés, mais ils furent pris la main dans le sac. On rouvrit ensuite le débat sur l’admission des nouveaux membres. Il fallait un filtre contre les délinquants romains prêts à s’emparer d’une part du gâteau. Mais rien ne fut décidé à cette occasion, ni plus tard. Les patriarches de Jérusalem, d’Alexandrie et de Constantinople faisaient pression pour que les choses demeurent comme avant puisque la fonction policière des membres de la confrérie était très appréciée, et ils ne voulaient surtout pas qu’ils se transforment en un club privé et exclusif.
— Et vous, capitaine, demanda soudain Farag, vous avez trouvé des informations sur ces gardiens de la Croix ?
Nous l’avions vu travailler fébrilement ces derniers jours sur l’ordinateur, imprimant de nombreuses pages. J’attendais qu’il nous informe d’un fait intéressant, mais les journées passaient et le capitaine était redevenu le monolithe de toujours, silencieux et inaltérable.
— Je n’ai rien trouvé, dit-il après un long silence, plongé dans une réflexion profonde. Enfin, il y a une référence, mais si insignifiante que je ne crois pas que cela vaille la peine de la mentionner.
— Capitaine, voyons ! protestai-je, indignée.
— Bon, alors voilà, j’ai vu une allusion à ces gardiens dans le manuscrit d’une religieuse galicienne.
— L’Itinerarium d’Égérie ! l’interrompis-je vivement. Je vous en ai parlé quand nous avons commencé cette enquête.
— En effet, il s’agit bien de ce texte écrit entre 381 et 384. Dans les chapitres qui décrivent les offices du Vendredi saint à Jérusalem, l’auteur affirme que les stavrophilakes étaient chargés de surveiller la relique et les fidèles qui s’en approchaient. Elle les a vus de ses propres yeux.
— Cela confirme leur existence, s’exclama Farag, tout joyeux. Ils sont donc bien réels ! Le manuscrit Iyasus dit la vérité.
— Alors, au travail ! grogna Glauser-Röist Le secrétaire d’État n’est pas du tout satisfait de notre faible rendement.
Pour la première fois de ma vie, la Semaine sainte arriva sans que je m’en aperçoive. Je ne fêtai pas le dimanche des Rameaux, ni le Jeudi saint, ni les Pâques de la Résurrection. Je ne participai pas non plus aux commémorations pénitentielles ni à la veillée pascale. Et je ne fis même pas ma confession hebdomadaire au bon père Pintonello. Tous ceux qui travaillaient immergés dans l’Hypogée reçurent une dispense du pape qui nous exonérait de nos obligations religieuses. Ce dernier, qui apparaissait dans tous les médias en train de célébrer les offices de la Semaine sainte et démontrait ainsi que, contrairement à ce que la rumeur prétendait, il était bien portant, voulait que nous continuions à travailler jusqu’à ce que l’énigme soit résolue. Et il est vrai qu’en dépit de la fatigue qui s’accumulait, nous nous exécutions avec un véritable acharnement. Nous ne nous rendions plus à la cafétéria du personnel, on nous descendait nos repas au laboratoire. Nous ne retournions plus dormir chez nous, on nous avait fourni des chambres dans la Domus. Nous abandonnâmes les moments de repos et de congé, parce que tout simplement nous n’en avions plus le temps. Nous étions des prisonniers volontaires pris d’une fièvre chronique : celle de la découverte passionnée d’un secret gardé des siècles durant.
Le seul à sortir régulièrement était le capitaine. En plus de ses nombreux rendez-vous avec le secrétaire d’État Angelo Sodano pour le tenir au courant de l’état des recherches, Glauser-Röist dormait le soir dans la caserne des gardes suisses (il y disposait bien sûr d’une chambre individuelle comme tous les officiers de ce corps) et il y passait parfois des heures,
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