Le Dernier Caton
terrible. C’était certain, j’allais quitter cette pièce avec mon quitus dans la main.
— Sœur Ottavia, commença Tournier d’une voix grave et nasale en évitant de me regarder, vous trouverez dans cette chemise des photographies que l’on pourrait qualifier de… voyons… insolites. Avant que vous ne les examiniez, nous devons vous informer que le corps d’un homme récemment décédé y apparaît, un Éthiopien dont nous ignorons encore l’identité. Vous remarquerez qu’il s’agit d’agrandissements de certaines parties du cadavre.
Alors, on n’allait pas me renvoyer…
— Il serait peut-être opportun de demander à sœur Ottavia, intervint pour la première fois le cardinal de Rome, Carlo Colli, si elle pense pouvoir travailler sur un matériau aussi désagréable.
Il me regarda avec une certaine préoccupation paternelle avant de poursuivre :
— Ce malheureux est mort dans un terrible accident. Ces images sont pénibles à regarder. Croyez-vous que vous serez capable de les supporter ? N’hésitez pas à nous dire si vous ne vous en sentez pas la force.
J’étais paralysée par la stupeur. J’avais l’impression qu’ils s’étaient trompés de personne et m’avaient convoquée par erreur.
— Excusez-moi, balbutiai-je, mais ne devriez-vous pas plutôt consulter un médecin légiste ? Je n’arrive pas à comprendre en quoi je peux vous être utile dans cette affaire et…
— Vous allez voir, me coupa Tournier en reprenant la parole et en faisant lentement du regard le tour de l’assistance. L’homme qui apparaît sur ces photos s’est rendu coupable d’un grave délit contre l’Église catholique, et les autres Églises chrétiennes. Je le regrette beaucoup, mais je ne peux pas vous donner plus de détails. Ce que nous voulons, c’est que vous réalisiez, avec la plus grande discrétion possible, une étude des signes qui ont été découverts sur son corps lors de l’autopsie. Il s’agit de cicatrices très particulières. Des… des sortes de scarifications, je crois que c’est le mot correct pour cette espèce de… comment dire… de tatouages rituels ou marques tribales. Il semblerait que certaines cultures anciennes aient eu pour coutume de décorer le corps de cicatrices cérémoniales. Concrètement, dit-il en ouvrant le dossier et en jetant un coup d’œil sur les photos, celles de ce pauvre malheureux sont très curieuses : on y voit des lettres grecques, des croix et d’autres représentations… artistiques ? Oui, je crois que le terme convient.
— Ce que monseigneur Tournier essaie de vous dire, reprit alors le secrétaire d’État Angelo Sodano avec un sourire cordial, c’est que nous aimerions que vous analysiez tous ces symboles, que vous les étudiiez et nous en donniez une interprétation complète et exacte. Vous pouvez bien sûr utiliser pour ce travail tous les services des Archives ou de toute autre institution du Vatican qui vous seront nécessaires.
— Vous pouvez compter sur mon soutien total, déclara le père Ramondino en regardant l’assistance pour chercher son approbation.
— Nous te remercions de ton offre, Guglielmo, précisa monseigneur Sodano, mais, bien que sœur Ottavia travaille habituellement sous tes ordres, pour cette affaire précise et délicate ce ne sera pas le cas. J’espère que tu ne te vexeras pas mais, à partir de maintenant et jusqu’à la fin de sa tâche, sœur Ottavia relèvera de la Secrétairerie d’État.
— Ne vous inquiétez pas, révérend père, ajouta d’un ton suave Tournier en faisant de la main un geste élégant de désintérêt. Sœur Ottavia bénéficiera de l’inestimable coopération du capitaine Glauser-Röist, ici présent, membre de la garde suisse et l’un des agents les plus remarquables de Sa Sainteté au service du tribunal de la Rote. C’est lui qui a pris ces photos et coordonne l’enquête en cours.
— Éminences…
C’était ma voix tremblante qu’on venait d’entendre. Les quatre prélats et le militaire se tournèrent pour me regarder.
— Éminences, répétai-je avec toute l’humilité dont je fus capable, je vous remercie infiniment d’avoir pensé à moi pour une affaire aussi importante, mais je crains de ne pouvoir accomplir cette mission, dis-je en essayant d’adoucir par le ton de ma voix le sens de mes paroles. Je ne peux abandonner le travail qui m’occupe en ce moment, et je manque de toutes les connaissances élémentaires pour
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