Le dernier royaume
guerrier avait
sauté de toute la hauteur du rempart. Il courait vers nous. C’était un homme
robuste, avec une barbe abondante, et je songeais que je ne pourrais jamais le
combattre, lorsque des flèches criblèrent le sol autour de lui et que je
reconnus Ealdwulf, le forgeron.
— Seigneur Uhtred ! cria-t-il. Seigneur
Uhtred !
Je tournai bride et le rejoignis pour l’abriter des flèches
derrière mon cheval. Aucune d’elles ne nous atteignit et je soupçonnai les
archers de nous avoir délibérément manqués.
— Tu es en vie, mon seigneur ! rayonna Ealdwulf.
— Je le suis.
— Alors, je viendrai avec toi, déclara-t-il d’un ton
résolu.
— Tu laisses ta femme et ton fils ?
— Ma femme est morte l’an dernier, mon seigneur, et mon
fils s’est noyé à la pêche.
— J’en suis navré.
— Woden donne et Woden reprend, dit Ealdwulf. Et Woden
m’a rendu mon seigneur.
Il vit le marteau de Thor à mon cou et, comme il était
païen, il sourit.
Et c’est ainsi que j’eus mon premier partisan, Ealdwulf le
forgeron.
— C’est un homme bien sinistre, ton oncle, me conta
Ealdwulf alors que nous retournions dans le Sud. Malheureux comme un chien.
Même son dernier-né ne parvient pas à le réjouir.
— Il a un fils ?
— Ælfric le Jeune, comme on l’appelle. Un petit tas
d’os en pleine santé. Mais Gytha est malade. Elle ne durera point. Et toi, mon
seigneur ? Tu sembles bien te porter.
— Je me porte bien.
— Tu as douze ans, désormais ?
— Treize.
— Tu es un homme, alors. Est-ce ta femme ?
demanda-t-il en désignant Brida.
— Brida est mon amie.
— Elle n’a point trop de viande sur elle. Mieux vaut
qu’elle ne soit que ton amie. Parlez-moi donc de ces Danes, poursuivit-il en
jetant un regard soupçonneux vers les guerriers de Ragnar.
— Le jarl Ragnar est leur chef, c’est lui qui a tué mon
frère. C’est un homme de bien.
— Et c’est lui qui a tué ton frère ? répéta
Ealdwulf, choqué.
— La destinée est tout, répondis-je, ce qui m’évitait
une plus longue réponse.
— Tu l’apprécies ?
— Il est comme un père pour moi. Tu l’apprécieras
aussi.
— Il reste tout de même un Dane, mon seigneur.
Peut-être adorent-ils les dieux qui conviennent, dit-il avec réticence, mais
j’aimerais cependant qu’ils s’en aillent.
— Pourquoi ?
— Parce que ceci n’est point leur terre, mon seigneur,
voilà pourquoi. Je veux pouvoir aller à ma guise sans crainte. Je refuse de
saluer un homme simplement parce qu’il porte épée. Il y a une loi pour eux et
une autre pour nous.
— Il n’est point de loi pour eux.
— Si un Dane tue un Northumbrien, s’indigna-t-il, que
peut-on faire ? Nul ne nous verse de wergild, nous n’avons point de
bailli ni de seigneur auprès de qui mander justice.
C’était vrai. Le wergild était le prix du sang pour
un meurtre. Le wergild d’un homme était supérieur à celui d’une femme,
et un guerrier valait plus qu’un fermier ; mais il y avait toujours un
prix et un meurtrier pouvait échapper à la peine de mort si la famille du mort
acceptait le wergild. Le bailli chargé de faire respecter la loi
dépendait de l’ealdorman, mais il avait disparu depuis l’arrivée des Danes. Il
n’y avait d’autre loi que celles qu’édictaient les Danes à leur convenance.
J’étais ravi de ce chaos, car Ragnar me protégeait. Mais sans lui, je n’aurais
point valu mieux qu’un hors-la-loi ou un esclave.
— Te souviens-tu de Beocca ? continua le forgeron.
Le prêtre rouquin à la main déformée, qui louchait ?
— Je l’ai vu l’an dernier, avec Alfred de Wessex.
— C’est un homme de bien, Beocca, quoique prêtre. Il
s’est enfui, car il ne supportait point les Danes. Ton oncle a déclaré que
Beocca méritait la mort.
Sans doute, songeai-je, parce que Beocca avait
pris les parchemins prouvant que j’étais le légitime ealdorman.
— Mon oncle veut ma mort aussi, dis-je. Et je ne
t’ai pas encore remercié d’avoir attaqué Weland.
— Ton oncle a menacé de me livrer aux Danes en
châtiment. Mais il n’en a rien fait.
— Tu es avec les Danes, à présent, dis-je. Et tu ferais
mieux de t’y habituer.
Ealdwulf réfléchit un instant à la question.
— Pourquoi ne pas rejoindre le Wessex ?
proposa-t-il.
— Parce que les Saxons veulent faire de moi un prêtre,
alors que je veux être guerrier.
— Allons en Mercie,
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