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Le dernier royaume

Le dernier royaume

Titel: Le dernier royaume Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernard Cornwell
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toit et contemplant la
vallée. Mon père aime beaucoup cet endroit.
    — Et l’Irlande ?
    — Roc et boue, Uhtred, sourit-il. Et les Skraelings,
les habitants du pays, sont fort malfaisants. Mais ils se battent bien !
Et il y a de l’argent, là-bas. Et plus ils se battent, plus nous en prenons.
Vas-tu boire toute cette ale, ou m’en donneras-tu un peu ?
    Je lui rendis le pichet et l’ale dégoulina sur sa barbe
tandis qu’il buvait.
    — J’aime assez l’Irlande, dit-il quand il eut terminé.
Mais je n’y resterai point. Je reviendrai ici. Je prendrai terre en Wessex, je
fonderai une famille. Et j’engraisserai.
    — Pourquoi ne reviens-tu pas maintenant ?
    — Parce qu’Ivar veut que je sois là-bas, et Ivar est un
bon seigneur.
    — Il m’effraie.
    — Un bon seigneur se doit d’effrayer.
    — Ton père ne m’effraie point.
    — Affronterais-tu Ragnar l’Intrépide dans un mur de
boucliers ?
    — Non.
    — Il est donc effrayant, sourit-il. Va conquérir le
Wessex et trouve-moi une terre qui m’engraissera.
    Nous terminâmes le toit puis je partis dans les bois, car
Ealdwulf avait un insatiable appétit de charbon, unique substance qui brûle
assez pour faire fondre le fer. Il avait appris aux hommes de Ragnar comment en
produire, mais Brida et moi étions ses meilleurs ouvriers. Les tas de charbon
exigeaient une attention constante et, comme ils devaient brûler pendant au
moins trois jours, Brida et moi passions souvent toute une nuit à veiller sur
eux, guettant le ruban de fumée qui s’élevait des fougères recouvrant le foyer.
Cette fumée indiquait que le feu était trop fort : nous devions alors grimper
pour colmater la fente avec de la terre.
    Nous brûlions de l’aulne quand nous en trouvions, car
c’était le bois préféré d’Ealdwulf. Tout l’art consistait à en calciner les
bûches sans les laisser s’enflammer. Pour quatre bûches que nous mettions dans
le foyer, nous n’en retirions qu’une, tandis que les autres étaient réduites en
mauvais charbon, trop friable. Il fallait parfois une semaine pour former un
tas suffisant. C’était une tâche monotone ; malgré tout, cela me plaisait.
Rester toute la nuit dans l’obscurité à côté de cette chaleur, c’était être un sceadugengan. En outre, j’étais avec Brida, désormais plus pour moi qu’une
amie.
    Elle perdit son premier enfant à côté du foyer. Elle ne
savait même pas qu’elle était grosse, mais une nuit elle fut prise de crampes
et de douleurs aiguës. Lorsque je voulus aller chercher Sigrid, Brida refusa et
me dit qu’elle savait ce qui lui arrivait. Terrifié par ses souffrances, je
tremblai dans le noir jusqu’au moment où, juste avant l’aube, elle donna
naissance à un minuscule enfant mort, un garçon. Nous l’enterrâmes avec le
délivre, et Brida retourna à grand-peine à la maison. Sigrid, alarmée par son
allure, lui donna une soupe de poireaux et de cervelle de mouton et la fit
aliter. Elle avait dû deviner ce qui était arrivé, car elle fut sèche avec moi
pendant quelques jours et annonça à Ragnar que Brida devait se marier. À treize
ans, Brida était en âge, et une douzaine de jeunes guerriers danes de
Synningthwait cherchaient épouse. Mais Ragnar déclara que Brida apportait la
chance à ses hommes et qu’il voulait qu’elle nous accompagne dans le Wessex.
    — Et quand irez-vous ? demanda Sigrid.
    — L’an prochain, répondit Ragnar. Ou le suivant. Point
au-delà.
    — Et ensuite ?
    — Ensuite, il n’y aura plus d’Anglie. Leur terre sera
tout entière nôtre.
    Le dernier des quatre royaumes serait tombé : l’Anglie
deviendrait la Danie, et nous serions tous des Danes, des esclaves ou des
cadavres.
    Nous fêtâmes Yule et Ragnar le Jeune remporta tous les
concours de Synningthwait : il lança les pierres plus loin que quiconque,
terrassa tous les hommes et réussit même à saouler son père. Puis suivirent les
mois sombres, le long hiver, et au printemps, quand les tempêtes se furent
apaisées, vint le moment pour Ragnar le Jeune de partir sous une fine pluie
grise. Ragnar suivit du regard son fils jusqu’au bout de la vallée. Quand il se
retourna vers son château nouvellement bâti, il avait des larmes dans les yeux.
Je me rappelle avec émotion ce printemps et cet été, car c’est lors de ces
longues journées qu’Ealdwulf me forgea une épée.
    — J’espère qu’elle sera meilleure que la première,
soupirai-je.
    — La

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