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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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encore son sentiment d’abandon et de profonde déréliction. Sa rébellion était légitime face à tout cet engrenage incohérent de causes et de raisons si étrangères à son sens du devoir et à son total dévouement à la personne de souverain qu’il servait avec abnégation depuis tant d’années. Sartine bénéficiait du privilège exorbitant d’un entretien hebdomadaire dans les petits appartements de Versailles et, souvent, dans ce cabinet si secret que ses proches eux-mêmes ignoraient où le roi travaillait au milieu des dépêches et des chiffres de ses agents. En une nuit, cet univers s’était écroulé comme un château de cartes. Mais c’était aussi l’image d’un chef infaillible, qui se défaisait pour laisser la place à celle d’un homme pitoyable et malheureux. Nicolas s’en trouva conforté dans sa volonté d’aboutir. Oui, il ferait l’impossible pour trouver les responsables d’une tragédie que l’administration normale de la cité, aurait pu, dans son cours habituel, prévoir et éviter.
    Il choisit un cheval fringant, un hongre alezan, jeune et curieux, qui tendait vers lui sa tête fine, et le fit seller par un valet. Les rues avaient repris un peu de leur animation, mais les visages étaient graves et des groupes se formaient. L’atmosphère, à l’image du temps, était à l’accablement. Nicolas sentit ses vêtements lui coller au corps tandis que sa monture elle-même exhalait une odeur forte de bête échauffée. L’orage menaçait et des nuages bleu ardoise grossissaient dans la perspective des rues. Il faisait presque nuit lorsqu’il s’engagea sous la voûte du Grand Châtelet. Au moment de remettre les rênes de son cheval au gamin dont c’était l’office, une voix connue le héla.
    — Ma doué, c’est bien mon Nicolas qui m’arrive là au grand trot !
    Dans le personnage qui s’adressait à lui si familièrement, il reconnut son pays Jean le Breton, plus connu dans les rues sous son surnom de « Tirepot ». C’était un personnage singulier, commis aux basses œuvres du ruisseau et bénédiction d’une population dépourvue de lieux d’aisance. Il portait deux seaux suspendus à une barre transversale reposant sur ses épaules. Le tout, dissimulé sous une large robe de toile goudronnée, permettait à ses clients de se soulager sous ce « chalet de nécessité ». Nicolas avait souvent recours à cet auxiliaire amical, toujours bien informé.
    — Jean, quoi de neuf ? Que dit-on ce matin ?
    — Ah ! certes pas que du bon, certes non ! Chacun panse ses plaies et pleure les disparus. On trouve que ce mariage commence bien mal. On accuse le guet et…
    Il baissa la voix.
    — On maudit la police et M. de Sartine de n’avoir point fait leur travail. On gronde, on s’assemble, on s’attroupe, mais la chose n’ira pas loin, le pauvre monde en a vu d’autres !
    — C’est tout ?
    L’homme se gratta la tête.
    — Me suis trouvé place Louis XV pour mon office…
    — Et alors ?
    — J’ai vite posé mes affûtiaux pour prêter la main. J’en avons entendu des vertes et des pas mûres !
    — Vraiment ? Lesquelles ?
    — Des hommes de la Ville accusaient au petit matin Sartine de tous les maux ; ce serait lui le fauteur du drame.
    — De la Ville, dis-tu ? Des échevins ?
    — Que nenni. Des gardes bourgeois tout dorés et surdorés sur tranche. Beaucoup sortaient juste de tripots et puaient le vin à tuer la mouche. Ils étaient bien pris et bien branlants. Un grand et gros empenaillé, qui paraissait être leur officier, les poussait et les excitait.
    Nicolas le récompensa d’un écu que l’autre attrapa au vol au risque de faire choir sa pyramide.
    — Tu me rendrais un service, dit Nicolas. Retourne dans le quartier Saint-Honoré et tâche de savoir où ces hommes ont pu passer la nuit. Tu comprends que cela peut m’intéresser.
    L’autre cligna de l’œil, arrima ses ustensiles et, après avoir rééquilibré le tout, disparut sous la voûte. On entendit longtemps sa voix s’éloigner en jetant son cri lancinant : « Chacun sait ce qu’il a à faire, le chalet pour un, le chalet pour deux. »
    Nicolas réfléchissait encore aux propos de Tirepot en entrant dans le bureau de permanence des commissaires. La tête dans ses bras, Bourdeau, affalé sur la table, ronflait lourdement. Il le considéra avec attendrissement. En voilà un qui ne ménageait pas sa peine ! Il appela le père Marie,

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