Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
Vom Netzwerk:
l’état de sa vêture ou dans son apparence n’indiquait une tentative forcée de dégagement.
    Nicolas était convaincu qu’un bon policier se devait d’obéir à son instinct. À partir des indications, des impressions, quelquefois informulées, des indices, des coïncidences et des présomptions, le bon sens organisait la hiérarchie et l’agencement de tous les éléments. Une méthode sans a priori, la mémoire des références et des précédents, la consultation à peine consciente d’une collection d’humains, de caractères et de situations, se mettait en branle à chaque instant de la recherche. Bourdeau, sous son aspect bon enfant, dissimulait toute la gamme des qualités policières, étayée d’une remarquable finesse. Combien de fois une de ses remarques en apparence anodine avait relancé la traque sur une piste nouvelle sur laquelle on ne s’était pas attardé auparavant ?
    L’odeur du veau mijoté dans ses épices tira Nicolas de sa réflexion. Leur hôte posa avec délicatesse sa tourte dorée sur la table de bois inégal. Il disparut pour reparaître aussitôt avec un petit poêlon qui avait connu des jours meilleurs, tout culotté par les heures d’exposition et de mijotage au feu du potager. Un couteau pointu jaillit qui découpa prestement une petite calotte de pâte. Un léger flux de vapeur parfumée les environna. L’aubergiste fit couler doucement la sauce blanche dans cette ouverture, de telle manière que l’inondation onctueuse atteignit bientôt les moindres recoins de la tourte. Il posa son poêlon, reprit le plat et lui fit subir quelques lentes oscillations latérales avant de le reposer. Nicolas et Bourdeau se penchaient déjà quand il les arrêta.
    — Tout doux, mes agneaux, laissez la sauce travailler et mortifier la viande chaude en la pénétrant de ses arômes. Notez, je dis pâté de poitrine de veau, mais j’ajoute, pour le moelleux et le grassouillet, un peu de tendron. Et la sauce ! Vous allez vous en pourlécher ! Ce n’est pas de ce misérable plâtre gâché à la va-vite par de calamiteux marmitons. Il faut des heures, messieurs, pour que la farine s’éclate, abandonne son rustique, se lie et se marie heureusement. Je suis un petit tripotier de rien, mais je travaille avec cœur comme mon arrière-grand-père, qui fut saucier de Gaston d’Orléans, sous le grand Cardinal.
    Sans doute inspiré par ce glorieux souvenir, il les servit avec cérémonie. Le plat et ses saveurs étaient à la hauteur de cet exorde. La croûte chaude, croustillante de sucs de viande caramélisés aux arrondis, enveloppait avec suavité une viande tendre que la sauce nappait en y fondant les divers éléments du plat. Ils consacrèrent un long et délicieux moment à savourer une œuvre si simplement et éloquemment présentée. Les cerises cuites apportèrent un rafraîchissement acide et doux à la fois. Une agréable torpeur les envahit qu’une eau-de-vie, servie dans des bols en faïence par mesure de précaution, accrut encore. La police, béate, laissa passer cette entorse au règlement sans réagir. Leur hôte n’avait pas licence de servir de l’alcool, dont la vente était réservée à un autre corps de métier ; son modeste négoce lui permettait seulement la fourniture de petits vins au tonneau, mais non des bouteilles cachetées. Bourdeau, toujours attentif au moindre détail, s’avisa soudain que le tabac à priser leur manquait. C’était une vieille plaisanterie entre eux. L’ouverture des corps les conduisait chaque fois à recourir à cet expédient. Ils multipliaient les prises, filtrant ainsi les remugles de la décomposition qui empuantissaient l’atmosphère de la Basse-Geôle. L’hôte leur prêta avec obligeance deux pipes en terre réservées à ses pratiques et du tabac à proportion.

    Ils rejoignirent le Grand Châtelet et gagnèrent la salle de la question qui jouxtait le greffe du tribunal criminel. C’était dans cette sombre salle ogivale, et sur l’une des tables de chêne, que se pratiquaient les ouvertures. L’opération était encore peu commune, si bien que les médecins ordinaires de la juridiction refusaient d’y recourir ou ne s’y résignaient que sur un ordre formel ; et même dans ce cas, ils ne les exécutaient pas dans les règles, ce qui équivalait à rendre l’examen imparfait et totalement inutile du point de vue de l’instruction.
    Un homme de l’âge de Nicolas, vêtu d’un habit couleur puce, en

Weitere Kostenlose Bücher