Le fantôme de la rue Royale
culotte et bas noirs, dépliait sur un petit établi une trousse de chirurgien. Les instruments étincelaient à la lumière des torches ; le jour ne pénétrait pas dans cette pièce dont les croisées à meneaux, munies de hottes en métal, ne laissaient transpirer aucun cri à l’extérieur de la forteresse. Charles Henri Sanson était une vieille connaissance de Nicolas, liée à ses premiers pas à Paris. Ils avaient commencé leur carrière à peu près en même temps. Tous deux servaient la justice du roi. Une sympathie inattendue — et inespérée pour le bourreau — avait porté le jeune commissaire vers cet homme mesuré, timide et d’une grande culture. Nicolas n’arrivait pas à l’imaginer en exécuteur des hautes œuvres et le considérait plutôt comme un médecin particulier du crime. Il savait qu’entraîné par l’héritage de son nom et de sa famille, le choix ne lui avait pas été laissé et qu’il s’était abandonné à un destin qui le contraignait à prendre une suite. Cependant, il accomplissait sa terrible tâche avec le souci d’un homme pitoyable. Sanson se retourna et son visage sérieux s’illumina en reconnaissant Nicolas et Bourdeau.
— Messieurs, dit-il, je vous salue et suis à votre disposition. Puis-je déplorer seulement que le plaisir de vous revoir ne me soit offert que par la tragédie de cette nuit ?
Ils se serrèrent la main selon une habitude à laquelle Sanson tenait plus que tout, comme si ce simple geste le réintégrait dans la communauté des vivants. Il sourit en les voyant allumer leurs pipes et tirer des bouffées odorantes. Semacgus fit soudain son entrée et son rire gaillard mit de la jovialité dans l’atmosphère pesante de la crypte. Les deux hommes de l’art déployèrent leurs instruments, qu’ils alignèrent soigneusement. Ils les examinaient un par un, vérifiant le tranchant des scalpels, ciseaux, stylets, couteaux droits et scies. Ils rassemblèrent aussi des aiguilles courbes, de la ficelle, des éponges, des érignes 17 , un trépan, un coin et un marteau. Nicolas et Bourdeau étaient attentifs à leurs gestes précis. Enfin, tous se réunirent autour de la grande table où gisait le corps de l’inconnue. Sanson salua le commissaire et lui désigna le cadavre.
— Quand il vous plaira, monsieur.
— Nous sommes en présence d’un corps amené au cimetière de la Madeleine le jeudi 31 mai 1770, et présumé avoir péri dans la catastrophe de la rue Royale, commença Nicolas.
Bourdeau prenait en note le procès-verbal.
— Il a été remarqué par le commissaire Le Floch et l’inspecteur Bourdeau sur le coup de six heures. Leur attention a été attirée par des traces évidentes de strangulation sur le cou de la victime. Dans ces conditions, il a été ordonné de la transporter à la Basse-Geôle, où il a été procédé à…
Il consulta sa montre qu’il replaça avec soin dans le gousset de son habit.
— … À la demie passée de douze heures du même jour à son ouverture par l’exécuteur des hautes œuvres de la vicomté et généralité de Paris, Charles Henri Sanson, et par Guillaume Semacgus, chirurgien de marine, en présence des dits commissaire et inspecteur. Il a d’abord été procédé à l’examen de la vêture et des objets appartenant à la victime. Une robe à dos flottant ouverte, au corsage en satin jaune paille de bonne qualité…
Sanson et Semacgus déshabillaient le corps au fur et à mesure que Nicolas parlait.
— … Un corset en soie blanche, lequel fort ajusté et échancré sur les hanches, muni de baleines et lacé dans le dos…
Cette pièce comprimait tant le corps que Semacgus dut user d’un canif pour en trancher le lacet.
— … Deux jupons, l’un de coton fin et l’autre de soie, avec deux poches cousues à l’intérieur du premier…
Il les fouilla.
— Vides. Des bas de fil gris. Point de chaussures. Aucun autre objet, ni bijoux, ni papiers ni indices d’aucune sorte n’ont pu être relevés sur le corps. Seule…
Nicolas sortit de sa poche un mouchoir qu’il déplia avec soin. Il l’ouvrit.
— … Seule une perle noire d’un minéral qui ressemble à l’obsidienne a été retrouvée dans la main crispée de la victime lors de la découverte du corps au cimetière de la Madeleine. D’apparence, on se trouve en présence d’une jeune fille d’environ une vingtaine d’années, de constitution gracile et ne portant aucune trace particulière, si
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