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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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choquaient en lui l’homme du roi et le magistrat en fonction. Il avait pourtant l’habitude de ces textes poisseux de haine qu’il avait pourchassés depuis dix ans sous deux favorites. Ces torchons, il ne cessait de les saisir et de les détruire. Son dégoût était toujours égal, mais l’hydre possédait cent têtes et renaissait sans cesse.
    Leur voiture s’ébranla et franchit à nouveau le cordon des gardes françaises. Nicolas fit demander à un officier l’autorisation de passer par la rue Royale. Le fiacre traversa au pas les quelques centaines de toises fatidiques. Il ne restait plus rien du drame de la nuit, que, çà et là, des lambeaux de vêtements et des souliers épars que fripiers et revendeurs récolteraient bientôt. La pluie tombée au cours de l’orage dissipait peu à peu des taches brunes sur le sol. Sous la lumière crue de l’après-midi, les prétextes du drame apparaissaient comme autant de témoins accusateurs : tranchées, blocs de pierre et rue inachevée. La place Louis XV surgissait du désastre ; des équipes avaient déjà commencé à déblayer les décombres du décor incendié de la fête. L’Hôtel des Ambassadeurs Extraordinaires et le Garde-Meuble trônaient, resplendissants, dans leur hiératique solennité. Le vent chassait les derniers miasmes de la nuit. Demain, tout serait à l’ordinaire, comme si rien ne s’était passé. Et pourtant, Nicolas entendait encore les cris d’agonie. Il songeait avec angoisse à cette grande soirée d’allégresse avortée. Ils longèrent le Garde-Meuble pour gagner la rue Saint-Honoré par le passage de l’Orangerie. Peu de temps après, leur voiture s’arrêta presque à l’angle de la rue de Valois devant une boutique de belle apparence à l’enseigne des Deux Castors . La vitrine, toute de bois sculpté, faisait apparaître des scènes de chasse où trappeurs et sauvages poursuivaient les animaux des divers continents. Une grille aux pointes dorées en forme de pommes de pin protégeait la glace derrière laquelle surgissait, dans la pénombre, un décor d’animaux naturalisés. Nicolas désigna des mannequins dépouillés à Bourdeau.
    — Dès la fin du printemps, les peaux et vêtements sont mis à l’abri pour les protéger des insectes dans des caves fraîches et préservées, que des fumigations d’herbes ont assainies.
    — Vous voilà bien savant. Quelque belle dame sans doute…
    — Vous êtes bien curieux…
    Il poussa la porte. Une clochette égrena des notes cristallines. Une odeur fauve les saisit, qui rappela à Nicolas certaine armoire du château de Ranreuil dans laquelle, enfant, il avait beaucoup joué et où il aimait enfouir son visage dans les vêtements de fourrure de son parrain, le marquis. Devant le comptoir en chêne blond, une femme encore jeune, brune, en robe de taffetas gris à grandes manchettes de dentelle, se penchait sur un papier qu’elle examinait d’un air sévère. Elle releva la tête et Nicolas admira sa blanche carnation. Elle considérait avec colère une jeune fille en bonnet et tablier de servante, presque une enfant, tassée dans une attitude de coupable prise en faute. Elle baissait un visage ingrat et aigu, avec la mine butée d’un petit animal traqué. Les deux hommes s’approchèrent en silence.
    — Miette, ma fille, ou l’on vous a volée ou vous êtes une voleuse.
    — Mais, madame…, gémit l’enfant.
    — Taisez-vous, vous m’indisposez. Vous êtes une drôlesse !
    Son regard se fixa sur les pieds de la servante, qui tortillait un coin de son tablier.
    — Où avez-vous marché, regardez vos souliers… Et votre figure est aussi souillée que votre tenue est fagotée ! A-t-on idée, dans une maison bourgeoise…
    Elle parut soudain découvrir Nicolas.
    — Disparaissez, vilaine ! Messieurs, que me vaut votre visite ? Nous avons de belles occasions à cette saison. Des toques, des pelisses, des manteaux, des manchons. Le tout à saisir en prévision de l’automne. Ou encore, pour votre dame, un bel arrivage de zibelines qui nous vient du nord. Mais je vais appeler M. Galaine, mon époux, il parle avec excellence et précision de ses peaux.
    La femme disparut par une porte latérale à petits carreaux biseautés. Bourdeau marmonna :
    — En voilà une qui ne se fait pas de mauvais sang pour sa nièce !
    — Ne précipitons pas les conclusions, il y a encore doute sur l’identité de notre inconnue. Cette dame a simplement l’esprit

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