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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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sur les raisons que pouvait avoir cette jeune femme de lacer si étroitement son corset, finit par dire le commissaire.

III
    AUX DEUX CASTORS
    Le temps passé n’est plus, l’autre encore n’est pas,
    Et le présent languit entre vie et trépas.
    J. B. Chassignet (1594)

    Nicolas siffla un fiacre. Il convenait désormais de retourner place Louis XV et, plus précisément, là où les corps étaient recueillis, afin de retrouver une famille éplorée à la recherche d’une jeune fille ou d’une jeune femme, encore que le cadavre gisant dans son sac à la Basse-Geôle ne portât aucune alliance.
    Leur voiture rejoignit par les quais la rue Saint-Honoré en empruntant les sentines des rues du Petit-Bourbon et des Poulies, qui longeaient le vieux Louvre. Nicolas considérait ces amas infects de masures voisines du palais des rois et propices à toutes les maladies du corps et de l’esprit.
    Dans sa partie occidentale, la rue Saint-Honoré offrait une longue suite de boutiques de mode dont les décrets régnaient sur les élégances de la ville. Chaque nouvelle saison, les maîtres artisans de ce négoce de luxe expédiaient dans les royaumes du nord, jusqu’à la lointaine Moscovie et, au sud, jusqu’à l’intérieur même du sérail du Grand Turc, des poupées de porcelaine, perruquées des coiffures à la mode et habillées soigneusement de plusieurs trousseaux de nouveautés. L’autre partie de la rue vers la Halle était consacrée à des plaisirs plus matériels. L’hôtel d’Aligre, temple fameux de la gourmandise, ouvert un an auparavant, offrait une devanture tapissée de jambons et d’andouilles. Bourdeau lui avait fait goûter un soir un nouveau « ragoût » à la mode, la choucroute de Strasbourg. Ce plat, depuis peu recherché, avait reçu ses lettres de noblesse de la Faculté qui le disait « rafraîchissant, combattant le scorbut, produisant un chyle épuré qui procure un sang tempéré et vermeil ». Les truites au bleu de l’établissement arrivaient directement de Genève dans leur court-bouillon, et l’on murmurait — M. de la Borde le lui avait confirmé — que le roi lui-même retardait parfois son dîner quand cette poste spéciale tardait à parvenir à Versailles.
    Mais déjà les toits d’ardoise mouillés du couvent des Capucins, près de l’Orangerie, jetaient des reflets gris à leur gauche. Le fiacre obliqua vers la rue de Chevilly, emprunta un moment celle de Suresnes pour toucher enfin le cimetière de la paroisse de la Madeleine. Il ralentissait de plus en plus, gêné par l’afflux d’une foule morne et dense qui se pressait en silence face à un cordon de gardes françaises qui interdisait l’accès de la paroisse et de ses dépendances. Nicolas frappa d’un coup de poing le devant de la caisse pour faire arrêter le véhicule, et descendit. Un homme en robe noire de magistrat dans lequel il reconnut M. Mutel, commissaire du quartier du Palais-Royal, s’avança pour lui serrer la main. À ses côtés, deux hommes s’inclinèrent. L’un était M. Puissant, chargé des spectacles et de l’illumination à la lieutenance générale de police ; l’autre M. Hochet de la Terrie, son adjoint — de vieilles connaissances.
    — Mon cher confrère, dit Mutel. Ces messieurs, avec mon aide, sont chargés de mettre un peu d’ordre dans la reconnaissance des corps. L’espace est si réduit que, si nous laissions faire, la foule s’amasserait de manière effroyable et tout cela nous conduirait à de nouveaux désastres. C’est sans doute M. de Sartine qui vous dépêche pour nous renforcer ?
    — Pas précisément, encore que nous soyons à votre disposition. Il s’agit d’une enquête préliminaire consécutive à une mort suspecte constatée cette nuit. L’affaire nous conduit à consulter… Vous avez des listes, j’imagine ?
    — Oui, une liste des corps ayant sur eux de quoi les identifier ; une autre de ceux déjà reconnus par des proches, et la dernière rassemblant les signalements recueillis qui permettront à nos aides de tenter de retrouver le parent ou l’ami en question. Mais, les visages sont souvent affreusement défigurés et il est bien malaisé de reconnaître quelqu’un dans ces vestiges déformés et sanglants. De plus, le temps est à l’orage et nous ne pouvons conserver trop longtemps les corps… La Basse-Geôle ne les contiendrait pas tous !
    Le commissaire s’approcha de Nicolas et, à voix basse, s’enquit de

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