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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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innocence. Eh bien ; il me les a remplies.
    — Quoi ?
    — Les mains, les mains ! Souvenez-vous qu’autrefois je vous régalais d’un ratafia des îles, j’en ai encore la papille excitée, qu’une mienne connaissance m’offrait. Vous en raffoliez. C’était, quand mon perroquet Sartine — je le pleure encore — mourut de saisissement après les violences dont vous nous victimisiez.
    — C’était pour la bonne cause, ma chère.
    — Pfuitt, plutôt pour me faire causer. Mais c’est le passé et je ne suis pas rancunière. Je me suis bien trouvée de nos accords et vous témoignerez que je ne les ai pas rompus ; nous en reparlerons.
    — Je vous rends ce témoignage bien volontiers. Mais cette fortune ?
    — J’y reviens. Cette connaissance de ma jeunesse — Dieu comme je l’aimais alors — était mort et je ne le savais pas. Les communications étaient rompues avec les îles à cause de la guerre avec l’Anglais. Platatim et platatam, il y a six mois un faquin a surgi. Malgré les couches de poudre dont il avait couvert sa perruque et la fausseté empreinte de son visage, il puait l’exploit, la saisie, la lettre de cachet et la fumée des mauvaisetés. Devant ce noirâtre, je me suis dit : « Paulette, voilà les ennuis. » J’ai même envisagé un nouveau correspondant du lieutenant général. Je craignais qu’on m’ait enlevé mon Nicolas, c’est dire !
    Elle lui décocha une œillade qui fit tomber deux ou trois morceaux de son maquillage ; son œil droit s’en trouva élargi.
    — Bref, je prends mon air le plus avenant. Le quidam ouvre un portefeuille. C’était un notaire, et des plus huppés sur la place comme le prouvait assez son carrosse. Tout de go, il m’annonça, la fortune étant fille de la providence, que mon ami d’autrefois, riche planteur, était mort et que, faute d’oies de sa parentèle, il m’avait constituée sa légataire.
    — Oies ? Vous voulez sans doute dire hoir 30  ?
    — Peu importe la volaille. Sachant que je ne traverserais pas les mers, j’avais refusé il y a trente ans ; son homme d’affaires avait vendu ses biens et le notaire m’informait qu’une somme énorme était à ma disposition chez un banquier parisien. J’empochai cette aubaine, convaincue que la bonne fortune n’est pas péché et que, pour éviter de devenir avare, il faut savoir dépenser.
    — Toujours bonne fille.
    — Et plus que vous pouvez croire ! J’ai mon âge, et ça ne s’arrangera pas. Cette maison n’est pas un bimbelot 31 , il faut la diriger. De nos jours, les filles n’ont plus le sens de l’autorité. En venez-vous à bléchir 32 , tout fout le camp. Le métier a changé et change tous les jours. Jadis, on sortait du ruisseau pour entrer dans la carrière et, avec un peu de tête et de jugeote, on parvenait à une honnête aisance. J’ai commencé bouquetière. Ah ! vous m’auriez vue, une belle fille, enjouée, sachant se faire désirer, discrète quand il le fallait. J’avais vite compris que, si on dispose de deux oreilles et d’une bouche, c’est pour écouter plus que pour parler. Je trouve un bouquin 33 sur le retour, propret, doux et sachant fermer les yeux sur mes godelureaux de cœur.
    — Il est vrai, dit Nicolas, que les vieillards ressemblent aux bouquins qui contiennent d’excellentes choses, quoique souvent vermoulus, poudreux et mal reliés.
    Ils s’esclaffèrent.
    — J’amassais peu à peu pour faire ma pelote. Je multipliais les pratiques discrètes, les plus fortunées. Ainsi, j’ai fini par bâtir cette maison. Mais le vent tourne et le métier, je le répète, n’est plus le même. Nous le sentons bien, nous, les mamans publiques, les mères abbesses. Vous savez bien que les raccrocheuses sont de plus en plus nombreuses, qui travaillent à l’isolée et sont les victimes désignées de la vérole. Nos maisons sont bien tenues et doivent affronter le changement. Les riches pratiques recherchent autre chose. Il leur faut des « nouveautés ». Nos maisons s’appuyaient sur la force de l’habitude ; c’est le luxe et le raffinement qui sont les denrées nécessaires aujourd’hui. J’ai épousé cette façon de voir. J’ai investi une partie de mon héritage à transformer ce lieu au goût du jour. Mais je vieillis, mes jambes toujours enflées ne me portent plus. Je peux veiller aux commencements, faire régner l’ordre parmi les filles de plus en plus endiablées et d’un choix de plus en

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