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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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à grandeur, sur un lit de rondelles de carottes, panais, bouquet garni, épices, sel et poivre, de deux oignons piqués de girofle et tu arroses, gaillard, d’une bouteille de malaga. Le tout doit mijoter à petit feu, deux heures au moins. Enfin, tu dégraisses, tu passes, tu parsèmes d’une poignée de truffes hachées fin et tu fais réduire le jus que tu lies avec quelques marrons écrasés. C’est un morceau d’abbé commendataire !
    — Et l’entremets ! soupira la Satin.
    — De l’ananas glacé venu tout droit des serres de Mgr le duc de Bouillon. Et après… ne faites pas trop de bruit !
    — Encore un duc ! On nous a changé notre Paulet !
    Nicolas se laissait aller, conscient d’être tombé dans un piège auquel il s’abandonnait sans réagir. L’atmosphère avait changé, la Paulet s’était mise à le tutoyer, assurée de son impunité. Il acceptait une soirée qui s’annonçait si savoureuse, tout attendri de ses retrouvailles inattendues. De fait, depuis longtemps, toute évasion lui était interdite. La permanente tension de sa charge, encore accrue par les obligations quotidiennes du mariage du Dauphin, ne lui avait laissé aucun répit. Ce soir, il se laissait aller comme le cavalier harassé au bord du chemin. Un éclair de conscience le redressa pourtant. Il se rappela que Tirepot lui avait laissé espérer des révélations de la Paulet. Celle-ci n’agissait jamais ouvertement ; il fallait toujours lui tirer les vers du nez, soucieuse qu’elle était de monnayer ses services en avantages et privilèges, et pour le plaisir de tenir, la dragée haute à la police.
    — Tout cela est bel et bon, dit Nicolas mais avant de vous laisser reposer, j’aimerais vous poser quelques questions. Notre ami Tirepot m’a dit que vous en aviez de belles à me conter.
    Elle grimaça et se laissa tomber lourdement dans sa chaise longue.
    — Décidément, celui-là ne perd jamais la direction du Châtelet !
    — Jamais ! D’autant plus que je suis avide de goûter à vos nouvelles autant qu’à votre cuisine. Plus vite nous en aurons fini, mieux cela vaudra. Contez-moi donc par le menu la soirée de la catastrophe. Les choses vont si vite qu’elles paraissent dater de plusieurs jours, alors qu’il s’agit de la nuit dernière.
    — Las, soupira la Paulet, puisqu’il faut en passer par là. Je faisais les préparatifs pour le souper prévu en votre honneur et en celui du docteur Semacgus, quand la sonnette se mit à s’agiter comme si mille diables la tiraient. Tant et si bien que j’ai fini par ouvrir à une trentaine de gardes de la Ville qui menaçaient de tout casser. Ces gros escogriffes, tout enmannequinés dans leurs tenues glorieuses, voulaient faire la fête et baptiser leur nouvel uniforme. Ils réclamaient du vin et des filles, à grands cris. Je n’aime pas qu’on me bouscule…
    Elle jeta un regard à Nicolas.
    — La Paulet est toute bonne, elle est brave fille, mais il ne faut pas lui agiter le poivre sous le nez ! Leur ayant dit leur fait, mais contrainte de leur servir à boire, je leur ai sorti un bourgogne aigrelet dont la bile a dû les agiter, et…
    — Quelle heure était-il ?
    — Sur le coup de huit heures, avant le feu d’artifice. Même que je me suis dit qu’ils avaient sans doute mieux à faire avec la fête, la foule et tout ce patatras des boulevards qu’à gobeloter dans une maison honnête.
    — Et cela a duré longtemps ?
    — Que oui ! Jusqu’à deux ou trois heures du matin. Mes jambes avaient doublé de volume. Les bougres ont écumé mes dernières réserves de ratafia. Des officiers les avaient rejoints. Même qu’on est venu chercher le major pour le désastre. Il a ricané, disant qu’il en venait et qu’il en avait soupé, et que M. de Sartine serait assez bon pour dépastrouiller la chose.
    — Comment était-il, ce major ?
    — Grand, gros, rougeaud, avec des petits yeux méchants comme des boutons de bottines. Le ton haut et mordant. Je lui retiens un cadet de ma ratière. Çui-là, je te le retrouverai !
    — Ma chère amie, je vous remercie. Ne tardez plus à soigner vos jambes. Il nous faut vous conserver, vous nous êtes trop précieuse.
    — Voyez le finaud, le margotin, le doucereux ! Ne le voilà-t-y pas soudain pressé de se débarrasser de la Paulet ! Va, je te comprends, tu aspires à la poularde, hé, hé !
    Et, avec un sourire éloquent, la Paulet se dressa et sortit de la pièce en soupirant

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