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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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et son grand lustre à pendeloques n’existait plus. Abattues les cloisons, disparu le salon où naguère, dans l’horreur des ténèbres, il avait dépêché son premier mort. Adieu glaces, corniches dorées, ottomanes aux couleurs pastel et gravures grivoises encadrées…
    Il se trouvait dans un vaste salon en rotonde, découpé, sur son pourtour, de petites absides plus intimes fermées par de lourds brocarts. Des consoles et des accotoirs étaient harmonieusement disposés çà et là. De petits canapés charmants sculptés de culots de perles et de rubans meublaient les alcôves. Des fauteuils en cabriolets ovales, ornés de moulures profilées, unifiaient l’ensemble par la répétition de leurs motifs fleuris. Nicolas se souvint qu’il avait été clerc de notaire. La pratique des inventaires après décès lui fit estimer le coût de ce mobilier à plusieurs milliers de livres. S’était-il trompé de maison, avait-elle été vendue ? Et pourtant la négrillonne était toujours là. Il s’interrogeait quand une voix connue, grasse et éraillée à la fois, lui parvint.
    — Foutre, ma fille, cessez de bayer aux corneilles ! Prêtez-moi un peu d’attention. Je me répète : faire prendre une barrique de vin d’Espagne chez Tronquay. Chez Jobert et Chertemps, vous leur rapportez le Bourgogne, il est aigrelet ! S’ils bronchent, ces pendards, dites-leur qu’ils perdront ma pratique. Ces marchands me feront crever !
    Il s’ensuivit plusieurs soupirs.
    — Voilà pour le vin ! Quel tintouin, j’en mourrai ! Au tour du gantier parfumeur. D’abord, tu me feras prendre de la pommade de moelle de bœuf à la fleur d’oranger pour mes pauvres cheveux. Pour les demoiselles, une douzaine de savons de Naples parfumés et des savonnettes marbrées. N’oublie pas le lait virginal, le bien-nommé ! Comment, tu oses pouffer, canaille ?
    Il entendit des coups d’éventail frapper un corps.
    — Tu l’as bien cherché. Il faut aussi une bouteille de vulnéraire d’arquebusade pour la Mouchet qui s’est effondrée dans les plumes deux fois la semaine dernière et, pour parfaire, en compagnie d’un crossé ! Il est vrai qu’il lui demandait… Mais ça, tu l’apprendras plus tard. Enfin, restent les petites éponges pour… Je me comprends. Allez file, j’entends quelqu’un.
    La servante — une gamine — se retira. Nicolas s’était approché. C’était bien la Paulet, ce monstre de chairs, répandu sur une chaise longue, enseveli dans une robe de soie grise d’où émergeaient ses bras énormes. Son visage semblait rétréci, couvert, comme d’habitude, de céruse et de rouge appliqués à plâtre. Il nota la nouveauté d’une perruque blonde bouclée à rangs serrés.
    — Mais, c’est notre commissaire ! Ce garnement de Nicolas, ce malappris qui a fait languir sa vieille amie toute la nuit ! Eh ! je gausse, le devoir avant tout et le service de la pousse 29 . Cela vaut mieux que de distraire une vieille décharnée comme moi.
    — Moi, j’ai la certitude que vous vous calomniez, dit Nicolas. Le squelette est encore bien en chair, et je vous retrouve dans un palais de splendeurs qui laisse pantois votre serviteur.
    Sans l’épaisseur du plâtras qui recouvrait son visage, Nicolas l’aurait vue rougir. Elle minauda.
    — Eh ! Eh ! Ainsi, vous avez observé le changement ? Je vis depuis des mois dans un tourbillonnement. Que la peste emporte les corps de métier et les artisans ! J’ai cru vingt fois périr, et quel flot de bon argent pour nourrir toute cette marchandaille ! Mais, je ne suis pas une jocrisse : loin de moi l’idée de laisser les choses se faire dans ma maison sans que j’aie mon mot à dire. C’est pas la Paulet qu’on viendra gruger sur le dos. D’un autre côté, faut ce qui faut !
    Elle prit un air docte.
    — Mais pour ce que j’en dis… C’est mal juger, dans bien des cas, que de juger d’après soi. Tiens, je vous vois l’œil finaud, tout pétillant et allumé à l’idée de coincer sa vieille amie et de trouver des raisons malhonnêtes à cette prospérité. Oh ! vous pouvez faire votre chattemite, vous ne croyez pas un instant que j’aie découvert le trésor de Col rond.
    — Le trésor de Golconde, sans doute pas, sourit Nicolas, mais j’avoue être perplexe devant tant de magnificences.
    — Ah ! mon bon monsieur, il y a un Dieu, et il regarde les mains pures et non les plus pleines. Vous connaissez ma douceur et mon

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