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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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balbutie des injures, on rit ici et là.
    Il n'en faut pas davantage pour exciter encore les deux compères que le désir de placer un mot jugé drôle par un public peu difficile incite à tourner en dérision les ridicules de ces vieux frères d'armes qui peinent nuit et jour, au bord de la grande guerre, pour préparer et réparer les champs de bataille.
    Et même les autres spectateurs s'y mettent aussi. Misérables, ils raillent plus misérables qu'eux.
    – Vise-moi ç'ui-ci. Et ç'ui-là, donc !
    – Non, mais pige-moi la photographie de ce p'tit bas-du-cul. Eh ! loin-du-ciel, eh !
    – Et ç'ui-là qui n'en finit pas ! Tu parles d'un gratte-ciel. Tiens, là, i' vaut l'jus. Oui, tu vaux l'jus, mon vieux !
    L'homme en question fait des petits pas, en portant sa pioche en avant comme un cierge, la figure crispée et le corps tout penché, bâtonné par le lumbago.
    – Eh ! grand-père, veux-tu deux sous ? lui demande Barque en lui tapant sur l'épaule lorsqu'il passe à portée.
    Le poilu déplumé, vexé, grogne : « Bougre de galapiat. »
    Alors, Barque lance d'une voix stridente :
    – Dis donc, tu pourrais être poli, face de pet, vieux moule à caca !
    L'ancien, se retournant tout d'une pièce, bafouille, furieux.
    – Eh ! mais, crie Barque en riant, c'est qu'i' raloche, c'débris. Il est belliqueux, voyez-vous ça, et i' s'rait malfaisant s'il avait seulement soixante ans de moins.
    – Et s'i' n'était pas saoul, ajoute gratuitement Pépin, qui en cherche d'autres de l'œil dans le flux des arrivants.
    La poitrine creuse du dernier traînard apparaît, puis son dos déformé disparaît.
    Le défilé de ces vétérans usagés, salis par les tranchées, se termine au milieu des faces sarcastiques et quasi malveillantes de ces troglodytes sinistres émergeant à moitié de leurs cavernes de boue.
    Cependant les heures s'écoulent, et le soir commence à griser le ciel et à noircir les choses ; il vient se mêler à la destinée aveugle, en même temps qu'à l'âme obscure et ignorante de la multitude qui est là, ensevelie.
    Dans le crépuscule, un piétinement roule ; une rumeur ; puis une autre troupe se fraye un passage.
    – Des tabors.
    Ils défilent avec leurs faces bises, jaunes ou marron, leurs barbes rares, ou drues et frisées, leurs capotes vert-jaune, leurs casques frottés de boue qui présentent un croissant à la place de notre grenade. Dans les figures épatées ou, au contraire, anguleuses et affûtées, luisantes comme des sous, on dirait que les yeux sont des billes d'ivoire et d'onyx. De temps en temps, sur la file, se balance, plus haut que les autres, le masque de houille d'un tirailleur sénégalais. Derrière la compagnie, est un fanion rouge avec une main verte au milieu.
    On les regarde est on se tait. On ne les interpelle pas, ceux-la. Ils imposent, et même font un peu peur.
    Pourtant, ces Africains paraissent gais et en train. Ils vont, naturellement, en première ligne. C'est leur place, et leur passage est l'indice d'une attaque très prochaine. Ils sont faits pour l'assaut.
    – Eux et le canon 75, on peut dire qu'on leur z'y doit une chandelle ! On l'a envoyée partout en avant dans les grands moments, la Division marocaine !
    – Ils ne peuvent pas s'ajuster à nous. Ils vont trop vite. Et plus moyen de les arrêter…
    De ces diables de bois blond, de bronze et d'ébène, les uns sont graves ; leurs faces sont inquiétantes, muettes, comme des pièges qu'on voit. Les autres rient ; leur rire tinte, tel le son de bizarres instruments de musique exotique, et montre les dents.
    Et on rapporte des traits de Bicots : leur acharnement à l'assaut, leur ivresse d'aller à la fourchette, leur goût de ne pas faire quartier. On répète les histoires qu'ils racontent eux-mêmes volontiers, et tous un peu dans les mêmes termes et avec les mêmes gestes : Ils lèvent les bras : « Kam'rad, kam'rad ! » « Non, pas kam'rad ! » et ils exécutent la mimique de la baïonnette qu'on lance devant soi, à hauteur du ventre, puis qu'on retire, d'en bas, en s'aidant du pied.
    Un des tirailleurs entend, en passant, de quoi l'on parle. Il nous regarde, rit largement dans son turban casqué, et répète, en faisant : non, de la tête : « Pas kam'rad, non pas kam'rad, jamais ! Couper cabèche ! »
    – I' sont vraiment d'une autre race que nous, avec leur peau de toile de tente, avoue Biquet qui, pourtant, n'a pas froid aux yeux. Le repos les

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