Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
Vom Netzwerk:
fera tout à fait nuit, que l'on pourra se risquer dehors sans être puni.
    Dormir en attendant ? Fouillade n'a plus sommeil ; son espoir de vin l'a secoué. Et puis, s'il dort le jour, il ne dormira pas la nuit. Ça non ! Rester les yeux ouverts, la nuit, c'est pire que le cauchemar.
    Le temps s'assombrit encore. La pluie et le vent redoublent, dehors et dedans…
    Alors quoi ? si on ne peut ni rester immobile, ni s'asseoir, ni se coucher, ni se balader, ni travailler, quoi ?
    Une détresse grandissante tombe sur ce groupe de soldats fatigués et transis, qui souffrent dans leur chair et ne savent vraiment pas quoi faire de leur corps.
    – Nom de Dieu, c'qu'on est mal !
    Ces abandonnés crient cela comme une lamentation, un appel au secours.
    Puis, instinctivement, ils se livrent à la seule occupation possible ici-bas pour eux : faire les cent pas sur place pour échapper à l'ankylose et au froid.
    Et les voilà qui se mettent à déambuler très vite, de long en large, dans ce local exigu qu'on a parcouru en trois enjambées, qui tournent en rond, se croisant, se frôlant, penchés en avant, les mains dans les poches, en tapant la semelle par terre. Ces êtres que cingle la bise jusque sur leur paille, semblent un assemblage de miséreux déchus des villes qui attendent, sous un ciel bas d'hiver, que s'ouvre la porte de quelque institution charitable. Mais la porte ne s'ouvrira pas pour ceux-là, sinon dans quatre jours, à la fin du repos, un soir, pour remonter aux tranchées.
    Seul dans un coin, Cocon est accroupi. Il est dévoré de poux, mais, affaibli par le froid et l'humidité, il n'a pas le courage de changer de linge, et il reste là, sombre, immobile et mangé…
    À mesure qu'on approche, malgré tout, de cinq heures du soir, Fouillade recommence à s'enivrer de son rêve de vin, et il attend, avec cette lueur à l'âme.
    – Quelle heure est-il ?… Cinq heures moins un quart… Cinq heures moins cinq… Allons !
    Il est dehors dans la nuit noire. Par grands sautillements clapotants, il se dirige vers l'établissement de Magnac, le généreux et loquace Biterrois. Il a grand-peine à trouver la porte dans le noir et la pluie d'encre. Bou Diou, elle n'est pas éclairée ! Bou Diou d'bou Diou, elle est fermée ! La lueur d'une allumette, qu'abrite sa grande main maigre comme un abat-jour, lui montre la pancarte fatidique : « Etablissement consigné à la troupe. » Magnac, coupable de quelque infraction, a été exilé dans l'ombre et l'inaction !
    Et Fouillade tourne le dos à l'estaminet devenu la prison du cabaretier solitaire. Il ne renonce pas à son rêve. Il ira ailleurs, ce sera du vin ordinaire, et il paiera, voilà tout.
    Il met la main dans sa poche pour tâter son porte-monnaie. Il est là.
    Il doit avoir trente-sept sous. Ce n'est pas le Pérou, mais…
    Mais subitement, il sursaute et s'arrête net en s'envoyant une claque sur le front. Son interminable figure fait une affreuse grimace, masquée par l'ombre.
    Non, il n'a plus trente-sept sous ! Hé, couillon qu'il est ! Il avait oublié la boîte de sardines qu'il a achetée la veille, tellement les macaroni gris de l'ordinaire le dégoûtaient, et les chopes qu'il a payées aux cordonniers qui lui ont remis des clous à ses brodequins.
    Misère ! Il ne doit plus avoir que treize sous !
    Pour arriver à s'exciter comme il convient et à se venger de la vie présente, il lui faudrait bien un litre et demi, foutre ! Ici, le litre de rouge coûte vingt et un sous. Il est loin de compte.
    Il promène ses yeux dans les ténèbres autour de lui. Il cherche quelqu'un. Il existe peut-être un camarade qui lui prêterait de l'argent, ou bien qui lui paierait un litre.
    Mais, qui, qui ? Pas Bécuwe, qui n'a qu'une marraine pour lui envoyer, tous les quinze jours, du tabac et du papier à lettres. Pas Barque, qui ne marcherait pas ; pas Blaire, qui, avare, ne comprendrait pas. Pas Biquet, qui a l'air de lui en vouloir, pas Pépin qui mendigote lui-même et ne paie jamais, même quand il invite. Ah ! si Volpatte était avec eux !… Il y a bien Mesnil André, mais il est justement en dette avec lui pour plusieurs tournées. Le caporal Bertrand ? Il l'a envoyé coucher brutalement à la suite d'une observation, et ils se regardent de travers. Farfadet ? Il ne lui adresse guère la parole d'ordinaire… Non, il sent bien qu'il ne peut pas demander ça à Farfadet. Et puis, mille dious ! à quoi bon chercher des messies

Weitere Kostenlose Bücher