Le Fils de Pardaillan
qu’à vous rendre rue des Rats, une maison isolée, à l’angle de la rue et du quai.
Sans doute Saêtta avait toute la confiance de Léonora. Peut-être d’anciennes et mystérieuses complicités unissaient l’homme à tout faire à la grande dame. Toujours est-il qu’elle ne prit pas la peine de dissimuler avec lui et qu’elle lui laissa voir un visage décomposé par l’affreux déchirement que lui causait l’annonce de la nouvelle trahison de son époux. Et cependant la nouvelle était prévue par elle.
– Ainsi, dit-elle dans un sanglot, c’est vrai ?… Je ne m’étais pas trompée ?… Concini a une nouvelle maîtresse ?…
Saêtta haussa les épaules d’un air détaché :
– Eh !
per bacco !
signora, peut-on empêcher le papillon de voleter de fleur en fleur ?… Le signor Concini est un vrai papillon… vous le savez bien !
– Oui, dit Léonora avec une sombre amertume, il aime toutes les femmes… toutes… excepté moi !
– Il en est las et les abandonne plus vite encore qu’il ne s’en est épris. Et c’est toujours à vous qu’il revient. A tout prendre, vous avez encore la meilleure part.
Léonora ne parut pas avoir entendu : elle songeait. Elle étouffa un soupir et se redressant, le visage impassible, la voix très calme :
– Donne-moi des détails, fit-elle. Le nom d’abord. Comment s’appelle la maîtresse de mon mari ?
– Signora, dit flegmatiquement Saêtta, laissez-moi vous dire que vous vous méprenez. La jeune personne dont il s’agit n’est pas la maîtresse de monseigneur Concini. Et je pense que si elle le devient jamais, c’est que votre illustre époux, pour la réduire, aura employé la violence, comme il a dû l’employer déjà pour s’en emparer.
Léonora ne témoigna ni surprise ni indignation.
– C’est donc une vertu si farouche ? demanda-t-elle avec une pointe de scepticisme.
– Heu !… Je ne crois pas beaucoup à la vertu des filles, dit Saêtta avec un cynisme tranquille. Mais, pour tout dire, je crois que celle-là a le cœur pris ailleurs.
– Ah !… Raconte. Je verrai.
Saêtta lui fit le récit très détaillé de l’enlèvement de Bertille, et répéta, mot pour mot, ce qu’il avait entendu de la discussion de Concini avec sa prisonnière.
Léonora l’écouta très attentivement, sans rien laisser paraître de ses impressions. Quand il eut fini :
– La résistance opposée par cette jeune fille me prouve que tu avais vu juste : elle doit être éprise de ton fils, comme tu me l’as dit.
Elle ferma les yeux et s’abîma dans une profonde rêverie, sans qu’il fût possible à Saêtta, qui l’épiait avec une curiosité narquoise, de lire la moindre indication sur son visage figé dans une immobilité de marbre. Puis, sa résolution prise, sans doute, elle rouvrit les yeux et très froide :
– Sais-tu ce qui s’est passé cette nuit, entre le roi et ton fils ? dit-elle. Une lueur s’alluma dans l’œil de Saêtta. Enfin, elle abordait le sujet qui lui tenait tant à cœur ! Avec cette familiarité insolente et obséquieuse à laquelle, probablement, elle était accoutumée depuis longtemps car elle ne paraissait pas y prêter la moindre attention, il gronda :
– Je n’en ai pas la plus petite idée. Et j’attends, au contraire, impatiemment, que vous me fassiez connaître ce qu’il en est.
– Eh bien ! fit Léonora avec cette même froideur sinistre, le roi est rentré au Louvre vers le milieu de la nuit. Il était en parfaite santé – elle insistait sur ces deux mots – et paraissait même d’assez bonne humeur, m’a-t-on dit.
– Je n’y comprends plus rien ! grinça Saêtta.
– Cependant, continua Léonora impassible, il s’est passé quelque chose d’anormal. M. de Praslin et ses gardes, mandés en hâte par M. de La Varenne, sont sortis précipitamment du palais, vers les dix heures du soir. On dit aussi qu’il y a eu une bagarre sérieuse rue de l’Arbre-Sec. On parle de blessés, parmi lesquels La Varenne. Enfin, on assure que le grand prévôt se trouvait sur les lieux avec une cinquantaine d’archers.
Léonora prit un temps et, fixant sur Saêtta des yeux étincelants :
– Que mes plans aient été dérangés, cela se peut expliquer, à la rigueur, par ce fait que le roi est sorti deux heures avant l’heure qu’il avait fixée lui-même… Mais, qu’est venu faire là, si inopinément, M. de Neuvy ?… Saêtta, Saêtta, pourrais-tu
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