Le Fils de Pardaillan
son grabat et mâchonna :
– Je ne dormirai pas, c’est certain… mais que faire jusqu’à demain ?… Demain !… Que je voudrais donc être à demain, pour savoir si vraiment le fils de Fausta est pris !… (Il gronda furieusement.) Et pourquoi ne le serait-il pas ?… Le grand prévôt a tenu compte de mon avis… il est accouru à l’endroit que je lui avais indiqué… J’en suis sûr… J’ai vu le sol foulé comme si une troupe nombreuse avait piétiné là… J’ai vu le sang… Il y a eu lutte, c’est certain !… A l’heure actuelle, le fils de Fausta est solidement enchaîné dans l’un quelconque de ces mignons cachots, comme il y en a au Châtelet ou à la Conciergerie !… Eh ! Eh !… le fils de Fausta !… régicide ?… écartelé !… tenaillé !…
Dans l’ombre, il eut un éclat de rire terrible. Mais son inquiétude le reprit et :
– N’importe ! Je voudrais être à demain pour savoir ! C’est un rude athlète que le petit Jehan ! (Avec une sorte d’orgueil sauvage.) C’est mon élève !… Et jamais élève, je puis dire, ne fut formé avec tant de soins vigilants !… Il est de force à s’en tirer, le fils de Fausta et de Pardaillan !…
A ce nom de Pardaillan, brusquement rapproché de son fils Jehan, il eut un frisson. Il demeura plongé dans une sombre rêverie, et répéta :
– Le fils de Pardaillan !… Pardaillan !… C’est vrai que Fausta me fait toujours oublier qu’il est le père, lui ! Tant qu’il a été loin de Paris, je n’ai pas pensé à lui. Maintenant que je le sais revenu, maintenant que je sais qu’il s’est rencontré avec son fils, malgré moi, je songe : Pardaillan est le père, et Pardaillan ne m’a rien fait, lui. Au contraire, je lui dois l’inoubliable joie d’avoir vu Fausta, qu’il a toujours combattue, toujours vaincue, humiliée, ruinée par lui, dans toutes ses entreprises. Oui, mais est-ce pour moi qu’il a agi ainsi ? Non. Alors ?… Alors, au diable le Pardaillan ! Vais-je renoncer à ma vengeance pour lui ? Autant vaudrait me couper la gorge à l’instant. D’ailleurs, il est trop tard, maintenant. Puis, quoi ?… Est-ce qu’il s’en soucie de son fils ? Saura-t-il jamais, seulement ?… Alors ?… Alors, dormons !… Mais il eut beau se tourner et se retourner, le sommeil ne voulut pas venir. Rageusement, il se leva, ceignit sa longue rapière et sortit en grondant :
– L’impatience me dévore… L’air frais de la nuit et le mouvement me calmeront.
Il s’en fut tout droit rue de l’Arbre-Sec et s’arrêta devant le logis de Bertille. Il avait déjà, et très minutieusement, étudié le perron et ses abords. N’importe, il recommença ses investigations, comme s’il avait voulu arracher aux choses le récit des événements dont elles avaient été les témoins muets.
Ses observations premières se trouvèrent corroborées.
Plus tranquille, il s’éloigna et, au hasard, sans but précis, sans se rendre compte, peut-être, des endroits par où il passait, il errait par les rues désertes, durant des heures. Au matin, exténué, il se décida à retourner chez lui y prendre une heure ou deux de repos avant de se rendre près de la Galigaï.
Comme il arrivait à la Croix-du-Trahoir, il reçut un choc terrible au cœur : il venait de reconnaître Jehan qui sortait de la rue du Four. Il n’eut que le temps de se jeter dans un renfoncement.
Le jeune homme passa sans le voir. Il paraissait d’ailleurs trop profondément absorbé pour prêter la moindre attention à ce qui se passait autour de lui.
Il était déjà loin que Saêtta, secoué d’un tremblement convulsif, tant le coup avait été rude pour lui, le suivait encore d’un sombre regard chargé de haine et bégayait, pris d’un accès de fureur :
– Libre !…
O Dio ladro !…
Dio porco !…
Un traquenard que j’avais si bien préparé !… Il s’en est tiré… il est libre… et il rentre chez lui !… Tout est à refaire !
Désespéré, farouche, il reprit, tout pensif, le chemin de son logis. Chez lui, il se laissa choir lourdement sur un siège, mit la tête dans ses mains et resta longtemps à rêver, combinant de nouveaux plans de vengeance.
Vers huit heures, il se rendit rue Saint-Honoré et fut immédiatement introduit auprès de Léonora Galigaï.
– Signora Léonora, fit-il avec une familiarité narquoise et obséquieuse, si vous voulez prendre la pie au nid, vous n’avez
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