Le Fils de Pardaillan
demanderai sa nomination… Après tout, Richelieu n’est peut-être pas aussi mauvais diable que je me le figure.
– Il va sans dire, ajouta Léonora avec un sourire qui en disait long, que ces renseignements et ces millions, Richelieu ne les donne pas à nous, mais à la reine.
Concini répondit par un sourire pareil et un geste qui signifiait clairement que la reine ou eux, c’était tout comme.
La joie que lui causait l’annonce inattendue de cette fortune colossale lui faisait oublier momentanément ses inquiétudes au sujet de Bertille et que Léonora n’avait pas dit son dernier mot. Ebloui, il répéta machinalement, comme s’il avait peine à y croire :
– Dix millions !…
Léonora eut un sourire indéfinissable et se penchant sur lui, l’enveloppant des effluves de sa pensée :
– Je te comprends, Concino, tu te dis qu’avec une fortune pareille, même si le roi ne disparaît pas, tu peux réaliser tes plus folles ambitions. L’or est le plus puissant des leviers quand il est placé dans des mains qui savent le distribuer avec à-propos.
– Eh
cara mia !
avec une somme pareille, j’achète… le roi lui-même, si je veux !
Léonora se pencha davantage et le brûlant de la flamme de son regard, d’une voix basse, sourde :
– Vous avez raison, dit-elle.
Jusque-là, elle l’avait tutoyé. Maintenant, elle lui disait vous. Il n’y avait rien d’extraordinaire à cela. Vingt fois par jour, il leur arrivait de quitter le ton familier pour le ton cérémonieux et ils n’y faisaient pas attention ni l’un ni l’autre.
Pourquoi ce brusque changement rendit-il Concini à ses inquiétudes ? Il n’aurait su le dire, mais il eut l’intuition foudroyante que le moment approchait où elle frapperait et que tout ce qu’elle avait dit jusqu’à ce moment n’était que pour amener ce qu’elle allait dire maintenant.
Elle continuait imperturbablement, d’une voix où grondait comme une sourde menace :
– Croyez-vous donc que ces millions qu’on nous donne, nous n’allons avoir que la peine de les prendre et tout sera dit ?… S’il en est ainsi, vous vous trompez singulièrement. Ces millions nous seront âprement disputés. Il faudra les conquérir de haute lutte… Et la lutte sera dure, acharnée, mortelle.
Concini se redressa, une flamme sous le sourcil :
– Tant mieux ! Bataille !… Je ne demande que cela, moi !… Quoique, à vrai dire, je ne voie pas trop…
– Concini, dit froidement Léonora, pour retrouver le trésor, il va falloir faire des fouilles importantes. Ces travaux ne pourront s’effectuer sans éveiller l’attention de tous ceux qui savent que le trésor est à Montmartre… Et ils sont nombreux.
– Que faire à cela ?
– Rien. Je le sais. Il n’en est pas moins vrai que nous aurons, dès ce moment, à lutter contre le roi.
–
Corpo di bacco !
grommela Concini rembruni.
– Le roi n’est rien ! dit Léonora d’une voix tranchante. Nous aurons, et ceci est déjà plus grave, à lutter contre une nuée de prêtres qui convoitent ce trésor depuis qu’ils ont appris son existence, c’est-à-dire depuis plus de vingt ans. Et cela n’est rien !
–
Diavolo, diavolo !
murmura Concini de plus en plus rembruni.
– Nous aurons contre nous Jehan le Brave. Ne souriez pas dédaigneusement, Concino… Ce jeune homme sera plus redoutable pour nous que le roi et les prêtres réunis. Vous le comprendrez quand je vous aurais expliqué pourquoi. Jehan le Brave, comme le roi, comme les prêtres, ce n’est rien. Cependant vous devez comprendre que ceci est un motif de plus pour qu’il disparaisse. Vous devez comprendre enfin pourquoi, moi qui n’ai pas de haine contre lui, je l’ai condamné.
– Et moi, grinça Concini, en plus des raisons que vous me donnez, j’ai des raisons à moi, que je garde pour moi, qui font que ma haine ne désarmera jamais !… Aussi je vous réponds que ce truand ne périra que de ma main… et dans quels tourments ! Tous les tourments d’enfer ne sont rien en comparaison. Et quant à ces dangers que vous me signalez, je ne pense pas que vous ayez dans l’idée de m’amener à renoncer à ces millions ?
– Pourquoi pas ? dit froidement Léonora en le regardant en face. Si l’entreprise vous paraît au-dessus de vos forces…
Concini eut un éclat de rire :
– Oh ! chère amie, il ne fallait pas me parler de ce trésor auquel je ne pensais pas, moi.
Et avec une
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