Le Fils de Pardaillan
nous… Crois-moi, Concino, c’est un garçon intelligent, il comprendra et se le tiendra pour dit. Jamais plus il ne s’avisera d’employer un moyen qui lui a si peu réussi.
– Tandis qu’autrement nous l’aurions eu constamment sur nous, sans oser nous en défaire ! Je comprends, maintenant, s’écria joyeusement Concini, tu es forte, sais-tu ?
– Je le sais, dit froidement Léonora. Jehan sera donc libre ce soir. Ceci me regarde. Et quant au reste, j’en fais mon affaire aussi. Tu peux me croire, Concino, le
bravo
ne jouira pas longtemps de sa liberté, avant qu’il soit longtemps, il ne pourra plus menacer personne. Je t’en réponds.
Elle était très calme, presque souriante, mais ses paroles avaient été prononcées avec une si implacable résolution que Concini se sentit secoué d’une joie furieuse.
– Comment peut-on parvenir à ce cachot ? demanda Léonora.
– Très simple : il n’y a qu’à descendre à la cave. La première porte qu’on trouve à main gauche. Elle est toujours fermée à clé et cette clé, je la cache soigneusement. Cette porte ouverte, on en trouve plusieurs autres, dans un petit couloir. Mais celles-là ne sont fermées qu’au verrou.
– Eh bien ! dit Léonora, qui avait écouté attentivement, il faut placer cette clé de façon à ce qu’on la puisse trouver aisément ce soir.
– On peut l’accrocher à la porte de la cave, proposa Concini.
– C’est le plus simple, en effet.
– Je vais la chercher, dit joyeusement Concini, et en même temps, je vais désarmer le brave des braves.
Et heureux de savoir qu’il pourrait, plus tard, poursuivre sa vengeance sans avoir rien à redouter pour sa précieuse carcasse, il s’élança, désinvolte et léger, comme s’il allait à un rendez-vous d’amour.
Quand il fut sorti, une expression de douleur atroce se répandit sur les traits de Léonora, jusque-là demeurés calmes et impassibles. Une flamme de colère et de rage haineuse luisait au fond de ses prunelles sombres, qui détaillaient une à une les splendeurs entassées dans ce petit cabinet, et un soupir qui ressemblait à un sanglot déchira sa gorge.
L’absence de Concini dura à peine cinq minutes. Il était parti joyeux et léger, il revint sombre et préoccupé, ramassé comme pour la lutte, une lueur mauvaise au fond des yeux.
C’est que jusque-là, il avait eu affaire à l’associée avec laquelle il fallait se concerter en vue de parer à un danger qui les menaçait. Maintenant le conseil était terminé, les résolutions prises, le danger écarté, l’affaire liquidée.
Maintenant, il allait se trouver aux prises avec l’épouse trahie une fois de plus, l’épouse jalouse et furieuse, qui, une fois de plus aussi, le prenait en flagrant délit de trahison. Et il prévoyait que l’explication serait orageuse.
Maintenant qu’il était sûr de pouvoir se venger de Jehan, maintenant qu’il était délivré de la menace d’une dénonciation qui pouvait entraîner la mort dans les tortures, maintenant, enfin, qu’il se sentait l’esprit libre de toute préoccupation, il s’était remis à penser à Bertille.
La scène, qu’il savait inévitable, l’horripilait pour lui-même, ce qui n’était que secondaire. Mais elle l’inquiétait pour la jeune fille, qui serait seule menacée, il ne le savait que trop bien.
Léonora, en effet, se montrait impitoyable pour les amours de son époux. A part Marie de Médicis qu’elle feignait d’ignorer, elle ne tolérait aucune infidélité. Trompée, elle l’était sans cesse. Mais sans cesse aussi, elle découvrait la nouvelle trahison. Sans cesse, elle connaissait le nom de la nouvelle maîtresse de son mari et elle frappait sans pitié. En sorte qu’on pouvait dire justement que le baiser de Concini distillait la mort.
Et Concini le savait mieux que personne, lui qui avait vu tomber une à une ses maîtresses, les plus tendrement chéries, toutes frappées par un mal mystérieux et soudain.
Une fois encore, la terrible jalouse avait découvert le nid d’amour de l’infidèle. Une fois encore, elle venait l’y relancer. Un hasard fortuit, un péril commun surgissant inopinément avait retardé l’explication. Elle n’en serait que plus violente, plus terrible peut-être à en juger par le calme affecté par Léonora, plus effrayant, pour Concini qui la connaissait bien, que la plus effroyable colère.
Mais de ce que l’épouse avait découvert le nid, il ne
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