Le Fils de Pardaillan
lui de parler sans y être autorisé.
– Monseigneur, dit-il en s’inclinant respectueusement, c’est pour vous dire que les valets du signor Concini n’étant que deux, Carcagne suffit pour les garder avec les filles de chambre qui sont à moitié pâmées de terreur. Ce qui fait que nous venons prendre vos ordres.
Pardaillan approuva d’un léger signe de tête et avec douceur :
– Vous, mon brave (il s’adressait à Gringaille), poussez-moi les verrous de la porte extérieure, placez-vous devant et ne laissez entrer ou sortir personne. Vous (à Escargasse), allez trouver vôtre camarade et gardez les gens de monsieur. Que nul n’approche de ce cabinet. Attendez.
Et se tournant vers Concini, très poliment :
– Monsieur, dit-il, je ne veux pas vous laisser croire que ces braves sont ici pour vous menacer. J’aime assez faire mes affaires moi-même et je ne suis pas si vieux que j’aie besoin d’une aide quelconque, lorsque je n’ai qu’un homme devant moi. Je vous engage ma parole que quoi qu’il advienne, ces trois braves n’interviendront pas.
Et se tournant vers Gringaille et Escargasse :
– Vous avez compris ? Quoi que vous entendiez, vous ne bougerez pas.
– Bien, monseigneur ! dirent les deux braves en chœur.
– Maintenant, si les choses se passent comme je l’espère, monsieur et moi nous sortirons d’ici ensemble et d’accord, et tout cela sera pour le mieux. Sinon c’est que monsieur m’aura tué.
Gringaille et Escargasse montrèrent les crocs en roulant des yeux terribles. Pardaillan sourit et :
– Non, mes braves, dit-il. En ce cas, vous vous en irez sans toucher à monsieur. Vous m’entendez ?… Sans le toucher et en le laissant absolument libre et maître chez lui. Jurez qu’il en sera ainsi.
Les deux braves se regardèrent hésitants.
– Jurez, répéta Pardaillan avec une irrésistible autorité. A regret, Escargasse et Gringaille dirent :
– C’est juré, monseigneur.
– C’est bien. Allez.
Pardaillan poussa la porte sur eux et s’adressant à Concini :
– J’espère, monsieur, dit-il d’un air froid, que vous ne me ferez pas l’injure de douter de ma parole et qu’après les ordres que je viens de donner devant vous, vous êtes pleinement rassuré sur la loyauté de mes intentions.
– Oui, grinça Concini, puisqu’il en est ainsi, meurs ! chien enragé ! Et le Florentin, qui avait dégainé sournoisement, se rua en portant un coup foudroyant.
Mais Pardaillan, avec son air confiant et indifférent, ne le perdait pas de vue. Il vit venir le coup et l’esquiva d’un bond de côté. Au même instant, il avait l’épée à la main et recevait le choc de Concini.
La passe d’armes fut violente mais brève. Il y eut quelques froissements de fer rapides et l’épée sauta des mains de Concini.
En ferraillant, il avait tiré la dague. Il était brave. Quand il se vit désarmé, il rugit :
–
O demonio d’inferno !
Et tête baissée, il fonça la dague levée sur Pardaillan, qui baissait courtoisement la pointe de son épée.
Pardaillan vit venir le coup de dague comme il avait vu venir le coup d’épée : sans surprise. Il saisit le poignet de Concini au vol et le serra d’une poigne vigoureuse. Il posa son épée qui le gênait et joignit les deux mains autour du poignet de Concini. Ce ne fut pas long. La dague échappa aux doigts meurtris qui ne pouvaient plus la tenir ; un hurlement de douleur jaillit des lèvres contractées.
Pardaillan repoussa la dague d’un coup de pied, saisit Concini à la ceinture, le souleva comme une plume au-dessus de sa tête, le balança un inappréciable instant comme s’il eût voulu prendre l’élan capable de le broyer à coup sûr, et il reposa sur ses pieds, doucement, Concini, stupide, qui avait bien cru à sa dernière heure.
Pardaillan ramassa son épée, la mit au fourreau, et d’une voix qui ne paraissait même pas essoufflée par le rude effort qu’il venait de fournir :
– Monsieur, dit-il avec calme, vous voyez que, de toutes les manières, je suis plus fort que vous. Il ne tenait qu’à moi de vous tuer au lieu de vous désarmer. Je pouvais vous briser la tête contre ce mur. Et je ne l’ai pas fait. Croyez-moi, le mieux que vous ayez à faire est de vous tenir tranquille.
– Mais enfin, écuma Concini, c’est inconcevable. Vous envahissez mon domicile, vous écoutez aux portes, vous commandez, vous menacez !… Que voulez-vous à la
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