Le Fils de Pardaillan
Vous saurez mettre le temps à profit, je n’en doute pas.
Il disait ces mots d’un air très dégagé, mais la poignée de main dont il les accompagnait avait une signification autrement éloquente que Sully comprit très bien.
– Comment vous remercier, jamais ? fit-il d’un air pénétré. Vous donnez toujours et on ne peut rien vous donner.
– Bon, fit Pardaillan en riant de son rire clair, un jour je demanderai à mon tour… et peut-être trouverez-vous que je demande trop.
Ce qu’il y avait peut-être d’un peu amer dans ces dernières paroles fut atténué par le ton et le sourire.
– Ne le croyez pas, dit Sully très sincèrement.
Et il se leva pour reconduire Pardaillan ; en même temps, d’un geste machinal, il allongea la main vers un marteau d’ébène placé sur la table et frappa sur un timbre. Ce qui voulait dire qu’il fallait faire entrer le solliciteur dont il avait préalablement donné le nom.
Pardaillan fit deux pas vers la porte et tout à coup, il s’arrêta, et se frappant le front :
– J’ai trouvé ! s’écria-t-il.
– Quoi donc ? dit Sully étonné.
– Mon cher monsieur de Sully, dit Pardaillan avec cet air figue et raisin qui déconcertait ceux avec qui il était aux prises, vous m’avez demandé comment vous pourriez me remercier, je vous dis que j’ai trouvé.
– Vrai ? s’écria joyeusement Sully. Vous avez quelque chose à me demander ?
– Oui, quelque chose de très important… pour moi. Et froidement :
– Vous ne sauriez combien il m’est pénible de traverser ces antichambres encombrées – je vous l’ai dit, je suis un ours – ne pourriez-vous pas me faire passer par un chemin où je n’aurais pas à fendre une foule de solliciteurs ?
– C’est là ce que vous vouliez demander ? fit Sully, ébahi.
– Eh ! monsieur, bougonna Pardaillan, ce n’est rien pour vous. C’est beaucoup pour moi. J’ai des idées bizarres parfois.
– Il m’est très facile de vous satisfaire, sourit Sully. Venez, monsieur de Pardaillan.
– Non pas, je vous ai assez fait perdre votre temps. Dites-moi simplement par où je dois passer et reprenez votre travail.
Sully n’insista pas. Il désigna de la main une lourde tenture et expliqua :
– Passez par là. C’est le chemin de mes appartements. Au bout du couloir, à main droite, vous trouverez l’escalier qui aboutit à une cour de l’Arsenal.
Et en souriant :
– Vous pouvez être sûr que vous ne rencontrerez personne par là.
– Bon, songea Pardaillan, c’est ce que je demande.
Il fit un geste d’adieu à Sully qui, sans méfiance aucune, revenait s’asseoir devant sa table, il souleva la portière et disparut.
Il poussa la porte sans la fermer et il resta là, l’oreille dans l’entrebâillement, en songeant :
– Mortdiable ! il faut que je sache de quel trésor ce Guido Lupini veut entretenir le ministre.
Cependant le solliciteur était introduit. Dès les premiers mots qu’il prononça, Pardaillan reconnut qu’il ne s’était pas trompé. C’était bien l’homme qui l’avait intrigué, qu’il croyait connaître sans parvenir à préciser où et quand il l’avait connu.
Cet homme, c’était Saêtta.
Si l’on s’étonne de voir Saêtta dans ce magnifique costume qui lui donnait si bien l’air d’un gentilhomme que Pardaillan, au premier abord, l’avait pris pour tel, nous dirons que depuis longtemps déjà, Jehan le Brave pourvoyait à tous ses besoins. Les petits profits qu’il tirait de certaines besognes louches lui restaient donc intégralement. Il les employait à l’exécution de ses projets de vengeance.
C’est ainsi que si Jehan le Brave n’avait en tout et pour tout que l’unique costume qui lui servait hiver comme été, Saêtta, pour l’accomplissement de sa vengeance, avait tout ce qu’il lui fallait.
Si Jehan, toujours large et la main grande ouverte, n’avait jamais une obole devant lui, Saêtta possédait en réserve, et prudemment cachées, une cinquantaine de pistoles. Ce n’était pas énorme. Pour lui, c’était beaucoup.
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Partie 2
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Chapitre 1
S aêtta s’arrêta devant la table du ministre et s’inclina profondément, mais sans servilité, avec une sorte de fierté narquoise.
Sully fixa sur lui son œil scrutateur. Ce coup d’œil lui suffit pour juger le personnage. Sans aménité, brusquement, sèchement, il dit :
– C’est vous qui prétendez apporter au Trésor une somme de dix
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