Le Fils de Pardaillan
hommes sont-ils fous ou enragés ?…
Jusque-là, Sully avait considéré le chevalier comme s’il ne pouvait en croire ses yeux. Le son de sa voix le rappela à lui. Il se précipita et commanda rudement :
– Drôles, qu’attendez-vous pour délier M. le chevalier ?… Ne voyez-vous pas qu’il y a erreur ?
Les hommes se hâtèrent de trancher les liens qui meurtrissaient le chevalier et s’esquivèrent sur un geste impérieux du ministre consterné, qui s’excusait de son mieux.
Pardaillan acceptait les excuses d’un air détaché en frictionnant ses membres endoloris. Mais il avait une lueur malicieuse au coin de l’œil.
– Mais enfin, s’écria Sully furieux, comment cette inconcevable méprise a-t-elle pu se produire ?
– Eh ! monsieur, bougonna Pardaillan, je veux que la peste m’étrangle si j’y comprends quelque chose !
– Il faut pourtant que je sache comment la chose s’est produite, insista Sully. Vous ne pensez pas que je vais laisser une pareille violence impunie ?
– Pourquoi pas ? fit Pardaillan, indulgent. Me voici hors d’affaire. C’est l’essentiel. La punition que vous infligerez à un pauvre diable ne changera rien à ce qui a été.
– Vous êtes généreux, comme toujours. Mais moi, j’ai besoin de savoir comment mes ordres sont exécutés.
– Puisque vous y tenez, voici tout ce que je puis vous dire, n’en sachant pas plus long : pendant que j’attendais, chez lui, le retour d’un ami absent, je me suis assoupi : vous savez, à mon âge… Pendant mon sommeil, j’ai été saisi, ficelé, emporté, avant que j’aie eu le temps de me reconnaître et sans que j’aie pu seulement faire ouf… Si vous pouvez tirer quelque chose du peu que je vous dis, vous m’obligerez en me le faisant connaître.
– Comment se nomme cet ami ?
– Jehan le Brave, dit Pardaillan, qui prit son air le plus naïf.
– Jehan le Brave, sursauta Sully. Ah ! je comprends alors ce qui s’est passé !
– Vous êtes plus perspicace que moi, fit Pardaillan, sans qu’il fût possible de savoir s’il raillait ou parlait sérieusement.
– Et vous dites que ce Jehan est votre ami ? reprit Sully qui paraissait au comble de l’étonnement.
– Je le dis parce que cela est, affirma énergiquement Pardaillan. Sully se tut un instant pendant lequel il parut hésiter sur ce qu’il allait faire ou dire. Brusquement il se décida :
– J’avais donné l’ordre d’arrêter ce Jehan le Brave qui est de vos amis, paraît-il. L’officier chargé de l’arrestation, vous trouvant là, installé comme chez vous, vous a pris pour l’homme dont il devait s’assurer.
– Bon, bon, je comprends maintenant, s’écria Pardaillan de son air le plus candide.
Et il ajouta :
– Pourquoi diable cette arrestation ? Quel crime ce garçon, qui est mon ami, a-t-il commis ?
– Chevalier, dit Sully, en le regardant en face, cet homme m’a été signalé comme un truand redoutable, complotant contre le roi.
Pardaillan éclata de rire.
– On vous a mal renseigné, duc, fit-il. Je sais mieux que personne que Jehan le Brave ne complote pas contre le roi. Je vous l’affirme. D’ailleurs, le pauvre garçon a bien d’autres soucis en tête. Figurez-vous qu’il est féru d’amour pour une jolie fille à laquelle je m’intéresse tout particulièrement. Mais féru à ce point qu’il en est outré ! Or, cette jeune fille a disparu. Et il est bien trop occupé à la rechercher pour perdre son temps à comploter.
Et soudain, très froid, plongeant ses yeux étincelants dans les yeux de Sully :
– Quant à dire que c’est un truand…
– Il ne serait pas votre ami s’il en était ainsi, interrompit spontanément Sully. C’est bien ce que je pense aussi… A moins… A moins qu’il n’y ait deux Jehan le Brave !… C’est possible, après tout… Au fait, où demeure le vôtre ?
– Rue de l’Arbre-Sec, en face le cul-de-sac Courbâton, fit Pardaillan en le guignant du coin de l’œil.
– C’est le même ! s’exclama Sully. Et, dépité :
– Je n’y comprends plus rien.
– Voyons, s’informa Pardaillan avec un naturel parfait. Moi, je suis sûr de mon fait. Jehan le Brave ne complote pas. Il n’est pas un misérable. Je l’affirme et je ne peux pas être suspecté.
Et comme Sully approuvait spontanément et vigoureusement du geste, il reprit :
– Bien, bien ! Mais vous, êtes-vous sûr de ceux qui vous ont
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